La Lorraine dans le temps

La Lorraine dans le temps

Août 1914, l'horreur dans le Pays Haut ! Une partie de ma famille et bien d'autres civils sont massacrés par l'occupant

Le 4 août 1914, l’armée allemande pénètre en Belgique et au Luxembourg. Quelques jours plus tard il se dit que ces troupes commettent d’ignobles atrocités contre la population civile. Incendies, pillages, exécutions sommaires, viols, massacres d’enfants, semblent se multiplier sur le passage de l’envahisseur. Des rumeurs identiques apparaissent en Lorraine et en particulier dans le Pays Haut.

Bientôt la presse alliée évoque ces atrocités. Réalité ou intox ? L’émotion est telle, dans le pays, que le Président du Conseil, Viviani, décide par décret du 23 septembre 1914 la création d’une commission d’enquête placée sous la présidence de Georges PAYELLE, Premier Président de la Cour des Comptes et composée d’éminents juristes dont le nancéien Georges MARINGER.

La commission PAYELLE, aux termes d’une enquête minutieuse, établit un rapport intitulé « Rapports et procès-verbaux d’enquête de la commission instituée en vue de constater les actes commis par l’ennemi en violation du droit des gens » (document disponible sous Gallica).

 

En voici quelques extraits significatifs.

Le 7 août, en arrivant à Joppécourt, les Allemands se présentèrent à la maison commune, et, en l'absence de M. Renauld, maire, qui habitait en dehors de l'agglomération principale, ils demandèrent à l'institutrice, Mme Baijot, de leur remettre les papiers de la mairie et de leur faire visiter les locaux. Au cours de leur perquisition, comme ils apercevaient les fusils que la municipalité ; par mesure de prudence, avait fait rassembler, ils prirent prétexte de cette découverte pour accuser Mme Baijot, en la menaçant de mort, d'avoir organisé une compagnie de francs-tireurs. Ils firent ensuite chercher le maire, exigèrent qu'il se tînt en permanence à leur disposition, et le 9, l'ayant conduit dans un jardin, ils le fusillèrent, après lui avoir lié les mains.

La commune de Baslieux fut envahie le même jour que celle de Joppécourt. Tandis que la troupe mettait le feu à trois maisons, un commandant du 24e régiment de dragons notifia au maire, M. Rémy, qu'il eût à lui fournir à manger pour 500 hommes et 500 chevaux, « dans dix minutes et non pas un quart d'heure. - « D'ailleurs, ajouta-t-il, je vous prends comme otage, parce qu'on a tiré sur nous. » Il ordonna alors qu'on le conduisît avec dix autres habitants au pied d'un mur, leur annonça à tous qu'ils allaient être fusillés et fit avancer un peloton d'exécution. Ce n'était heureusement qu'une mesure d'intimidation ; le commandement ne fut pas donné, et les onze captifs, les mains attachées derrière le dos, furent transférés dans un poste. Vers minuit, un officier vint y chercher M. Rémy pour l'obliger à faire avec lui une perquisition dans deux maisons, d'où, prétendait-il, des civils avaient tiré, et l'informa qu'il serait exécuté si une seule arme était découverte. Mais il fut reconnu que l'accusation était fausse et que les coups de fusil imputés à la population étaient le fait de militaires allemands.

Le lendemain, les cavaliers s'en allèrent.

Le 22, à la fin d'une bataille qui avait eu lieu aux environs, les 21e et 38e régiments d'infanterie de réserve de Silésie, passant en débandade dans le village, obligèrent la plupart des habitants à sortir de leurs demeures et les conduisirent au lavoir communal. Ils y fusillèrent, en présence de la population, deux jeunes gens parfaitement innocents, les frères Petit. L'un de ceux-ci, pourtant, survécut par miracle à ses blessures. Au même moment, des soldats poursuivaient Mlle Armusiaux et la tuaient dans son corridor, tandis que MM. Choisel et Michel étaient massacrés chez eux.

Le même jour, l'ennemi brûla sept ou huit maisons.

Le 10, après le combat de Murville, qui fut un échec pour les Allemands, le 23e régiment de dragons entra dans Bazailles, où il avait déjà précédemment cantonné. Il y incendia quarante-cinq maisons, tant ce jour-là que le lendemain, et tua tous les hommes qu'il rencontra. Parmi les dix-neuf habitants qui périrent sous les balles, onze avaient été conduits dans un clos pour y être passés par les armes. Le feu fit en outre cinq victimes : M. Robert, sa femme, sa fille et deux jeunes enfants. Le petit Vigneron, âgé de deux ans, arraché des bras de sa mère, qui le portait près de son berceau, fut étranglé par un soldat, puis carbonisé dans l'incendie.

Les Allemands ont essayé de justifier tous ces crimes en prétendant qu'un des habitants fusillés, M. Firmin Rollin, avait tiré sur eux quelques jours auparavant. Or, cet homme avait été réquisitionné par eux-mêmes comme convoyeur et n'était pas encore rentré à Bazailles, au moment où, soi-disant, aurait eu lieu l'agression dont il était accusé.

A deux reprises différentes, le 7 août, les 22 et 23 du même mois, la commune de Fillières fut le théâtre d'effroyables excès. Le 7 au soir, dès leur arrivée, des troupes ennemies arrêtèrent le curé, M. Robert, ainsi que le maire, M. Noirjean, et, sous la garde de factionnaires, les consignèrent dans la maison de ce dernier. Au bout d'une heure, une patrouille vint dire aux prisonniers qu'on avait tiré sur un chef, et que, s'ils ne trouvaient pas le coupable, ils seraient l'un et l'autre fusillés. Elle les conduisit ensuite au lieu où l'on prétendait que l'attentat avait été commis, et la propriétaire d'une maison voisine fut invitée à faire connaître si quelqu'un était entré chez elle dans la soirée. Elle déclara n'avoir vu que son beau-frère, M. Drouet, garde champêtre et appariteur, qui lui avait ramené un de ses enfants.

Les Allemands allèrent aussitôt chercher Drouet à son domicile et l'emmenèrent dans la maison de M. Noirjean avec celui-ci et M. l'abbé Robert. Dans le courant de la nuit, les trois hommes, appelés à plusieurs reprises devant le général prince de Ratibor, qu'entouraient quelques officiers, furent pressés de questions auxquelles ils répondirent avec beaucoup de courage et de dignité. Il leur fut enfin notifié qu'ils étaient condamnés à mort.

Le coup de fusil que le général accusait un civil d'avoir tiré avait en réalité éclaté par suite de l'imprudence d'un soldat allemand, qui l'avait fait partir en déposant brusquement son arme sur un plancher. Néanmoins, à cinq heures du matin, le garde champêtre, vieillard de soixante-sept ans, était exécuté à une extrémité du village, et, peu après, le maire et le curé étaient contraints à monter dans une automobile et dirigés vers Serrouville. Le départ eut lieu en présence de la famille Noirjean, dont le désespoir se manifesta par des scènes déchirantes. Mais, pour une raison qu'ils ignorent, MM. Robert et Noirjean, qui s'attendaient à être fusillés sur la route, furent ramenés à Fillières. A leur retour, l'état-major était parti pour Pillon, où un combat venait de s'engager. C'est sans doute cette circonstance qui les a sauvés.

A partir de ce moment, il n'y eut, pendant quinze jours, que des passages de troupes intermittents dans la commune; mais, le 22 août, elle fut envahie par des effectifs considérables. L'ennemi, qui venait de se battre non loin du village et dont la rage était extrême, incendia immédiatement trente-trois maisons. MM. Louis Norroy, Lucien Bourgeois et la petite Lefondeur, âgée de douze ans, furent tués dans la rue.

  1. Ferrand venait d'être empoigné et allait être fusillé, quand sa femme, affolée, se cramponna à lui en l'entourant de ses bras. Ils furent massacrés l'un et l'autre.

Tandis que ces faits se passaient, une partie de la population était transférée à Thionville et à Aumetz, en Lorraine. Le voyage fut un martyre. Roués de coups, laissés pendant trois journées entières sans nourriture, bien que les soldats leur eussent extorqué de l'argent en leur promettant des aliments, les prisonniers étaient couverts de contusions. L'un d'eux, M. Thirion, eut la barbe arrachée, et le maire reçut un terrible coup de poing qui faillit lui crever un œil.

En arrivant à Aumetz, trente-cinq hommes furent invités à sortir des rangs et dénoncer ceux qui auraient commis dans leur village des actes d'agression contre l'envahisseur. Tous ayant protesté que nulle agression ne s'était produite, MM. Lefebvre et Félix Humbert furent passés par les armes, séance tenante. Pendant ce temps, à Fillières, les Allemands fusillaient M. Vigneron sur son fumier, M. et Mme Lay devant leur porte, et un capitaine faisait promener ensuite les cadavres des époux Lay le long des rues, en criant : « Vous avez voulu la guerre ! La voilà! ».

Le 21 août, les 121e et 122e régiments d'infanterie ennemie, accompagnés d'un détachement de pionniers, se heurtèrent, près de Mont-Saint-Martin, à une demi-section de fantassins français qui leur infligea des pertes. Furieux de cette résistance, ils se vengèrent cruellement dès qu'ils purent entrer dans la commune. Tandis que le feu était mis à soixante-seize maisons, les soldats tiraient sur les habitants qu'ils rencontraient et faisaient sortir les autres de leurs caves pour les fusiller. Sur une liste, certainement très incomplète, qui nous a été remise, figurent les noms de quinze victimes.

  1. et Mme Kribs venaient d'être tués chez eux quand leur fils, âgé de quinze ans, fut poursuivi dans la rue; atteint d'une balle à la jambe, il roula sur le sol et fut achevé à coups de crosse. Un garçon de dix-huit ans, le jeune Lhotel, arrêté dans sa chambre, fut traîné jusqu'à une propriété voisine et férocement mis à mort. Les Allemands massacrèrent également la petite Marguerite Schneider, enfant de dix ans, MM. Vignot, Surback, Reser, Lemmers et deux ouvriers espagnols. M. Belin, blessé au pied droit et incapable de se mouvoir, fut criblé de coups de baïonnette. Un domestique, Jean Kirsch, qui ne voulait pas livrer une vache qu'il menait à la longe, eut un bras tranché d'un coup de sabre et l'autre bras traversé par une balle. Dans la maison Kribs, on retrouva carbonisés le corps de la. propriétaire et celui de la petite Fizaine, âgée de quatre ans et demi. Mme Prégnon fut également brûlée au cours des incendies.

Dans l'affreuse journée du 22 août, pendant laquelle ont été commis, à Baslieux et à Fillières, plusieurs des crimes que nous avons relatés, les communes de Chénières, de Cutry, de Landres, de Gorcy, de Saint-Pancré et de Mercy-le-Haut furent, elles aussi, cruellement éprouvées. Le 22e régiment d'infanterie allemand détruisit le village de Chénières en y mettant le feu. Il n'y laissa debout que deux maisons; encore l'une d'elles devait-elle être incendiée au moment de la retraite.

Dans cette petite commune, vingt-deux personnes furent exterminées.

Au cours de la soirée, les habitants restés vivants furent transférés à Villers-la Montagne, et cinq jours après, on les ramena à Chénières pour leur faire inhumer les cadavres. Les Allemands voulaient les contraindre à jeter pêle-mêle leurs morts dans des fosses avec des bêtes tuées pendant le carnage, et ce fut à grand'peine que les familles obtinrent l'autorisation de déposer au cimetière les restes des êtres chers que l'assassinat leur avait ravis.

A Cutry, l'ennemi brûla vingt-six maisons. L'instituteur, M. Basse, qui s'était abrité dans sa cave avec M. Auguste Dillon, conseiller municipal, et un domestique nommé Pierre Perlot, en sortit vers dix heures du matin, pour recevoir les Allemands qui pénétraient dans l'école : immédiatement appréhendé, il fut emmené, ainsi que ses deux compagnons et quatre autres habitants, MM. Emile André; Flèche, Navel et Grund, au fond du jardin, où on les fusilla tous après leur avoir lié les mains derrière le dos, tandis que le curé, M. l'abbé Robert, était conduit à Villers la-Montagne pour y être exécuté.

Le reste de la population fut transféré à Chénières et enfermé dans l'une des deux seules maisons que la flamme eût épargnées. Des soldats vinrent à plusieurs reprises y choisir des femmes et des jeunes filles, et les contraindre, en les menaçant de leurs baïonnettes et de leurs revolvers, à se rendre dans une chambre voisine pour y subir d'ignobles attentats. Deux jeunes mères portaient leurs enfants sur leurs bras : les Allemands les leur arrachèrent, remirent les petits aux maris et entraînèrent les femmes sous les yeux de ces derniers.

A Landres, soixante-sept maisons furent brûlées et un jeune domestique fut carbonisé; quatre habitants inoffensifs étaient en même temps abattus à coups de fusil sur la voie publique et plusieurs sous-officiers violaient Mlle Z… âgée de seize ans.

Le lendemain, les Allemands fusillèrent cinq hommes étrangers à la commune, entre autres un cultivateur du village de Piennes. Celui-ci, arrêté dans les champs, alors qu'il revenait de son travail en portant sa faux sur l’épaule, fut exécuté sur l'ordre d'un général. Le pauvre homme pleurait et suppliait qu'on lui laissât la vie, protestant qu'il n'avait rien fait de mal et répétant qu'il était père de six enfants; mais les soldats le poussèrent à coups de crosse jusque dans une carrière, où il fut passé par les armes en compagnie d'un inconnu.

A Saint-Pancré, l'ennemi a mis le feu à vingt-trois maisons et massacré dans le village MM. Achille Remer et Gobert, ainsi qu'un manchot, nommé Grégoire. Quant à Remer, il a été atteint d'une balle au côté, au moment où il ouvrait la porte à sa femme, qui revenait de panser sa vieille mère, qu'un officier avait grièvement blessée d'un coup de revolver à l'estomac, après l'avoir froidement visée à travers sa fenêtre.

Enfin, au hameau de Buré-la-Ville, dépendance de la commune, des soldats, qui tiraient au hasard dans les rues, ont blessé M. Gavroy et tué son fils, âgé de neuf ans.

Tandis que ces crimes étaient commis, des personnes qui revenaient de Tellancourt à Saint-Pancré tombèrent entre les mains d'un détachement dont le chef les accusa d'avoir tiré et leur déclara qu'elles allaient être fusillées. « Les hommes à droite et les femmes à gauche ! », commanda l'officier. Les femmes s'enfuirent en toute hâte; mais à peine avaient-elles fait quelques pas qu'elles entendaient la fusillade et que MM. Gillet, Weber, Gérard, Roussel et Achille Remer tombaient mortellement frappés. M. Perazzi, qui avait pu s'échapper, fut découvert dans un champ d'avoine où il s'était couché pour se dissimuler. Il reçut deux balles, l'une à la bouche et l'autre au bras. Des soldats l'arrosèrent ensuite de pétrole; mais un de leurs camarades les empêcha de le brûler.

Dans l'incendie du village, M. Lepage, vieillard de quatre-vingt-deux ans, a été carbonisé, et on est encore sans nouvelles de M. Allard, qui, après avoir été blessé, a été emmené en Allemagne.

A huit heures du soir, d'importants contingents Allemands étant entrés à Mercy-le-Haut, un officier pénétra dans l'école, demanda à l'instituteur s'il logeait des militaires français, et se fit conduire dans une salle où étaient hospitalisés des blessés. Il y trouva, couchés auprès de ceux-ci sur la paille et désarmés, six soldats valides qui n'avaient pu rejoindre leur corps. Il leur ordonna de se lever, puis les abattit l'un après l'autre à coups de revolver. Cinq furent tués; le sixième, ayant fait le mort après être tombé, dut à sa présence d'esprit de ne point être achevé.

A peu près au même moment, des Allemands frappaient à la porte de M. L'Huillier. Il s'empressa d'aller ouvrir, mais tomba mortellement atteint d'une balle. Neuf personnes avaient reçu asile dans sa maison; les soldats, les ayant découvertes, tirèrent immédiatement sur elles. Mmes L'Huillier, Pana, Guidon, Kuebler, Ruer et la petite Renée Guidon, âgée de quatre ans, furent tuées.

Vers neuf heures, le jeune Léon Mandy fut surpris chez M. Collignon, où il se chauffait tranquillement près d'un poêle. Des Allemands lui ordonnèrent de lever les bras, et l'un d'eux lui fracassa la tête d'un coup de revolver. Un médecin-major français, qui soignait des blessés dans la maison, ne put s'empêcher d'exprimer son indignation d'un pareil acte : « Répétez », lui dit le meurtrier. Le docteur, ayant alors renouvelé sa protestation, reçut un coup de revolver à la mâchoire. Un peu plus tard dans la soirée, Mlle Collignon, nièce du propriétaire chez lequel s'était passée cette scène, essuya, en ouvrant sa porte, un coup de fusil qui ne l'atteignit pas; mais son père, qui sortait de son lit et commençait à s'habiller, fut mortellement atteint d'une balle.

Le lendemain matin, le jeune Maurice Guerville, âgé de dix-sept ans, rapportait chez lui un bidon de lait qu'il était allé chercher dans le voisinage, quand il aperçut des soldats qui tiraient sur des poules. Il eut l'imprudence de rire de leur maladresse.

Ce fut alors lui-même qu'ils prirent pour cible. Blessé grièvement au dos, il mourut en arrivant chez ses parents.

Tandis que nos troupes battaient en retraite et que le 121ème régiment d'infanterie allemande pénétrait dans Gorcy, des soldats français, disséminés dans les environs de cette commune, tiraient encore quelques coups de fusil et de mitrailleuse. Pour se venger, l'ennemi incendia plusieurs maisons et massacra six habitants. MM. Massonnet, âgé de soixante-sept ans; Protin, vieillard de soixante-seize ans, et M. Mercier furent passés par les armes au pied d'un mur.

  1. Lefèvre fut arrêté alors qu'il tenait par la bride son cheval attelé à un tombereau; les Allemands, après avoir tué le cheval, emmenèrent le conducteur à une centaine de mètres et le fusillèrent. M. Mamdy était en train de manger dans sa cuisine, tenant un petit enfant entre ses jambes: il fut abattu d'un coup de revolver.

Le même jour, les deux sœurs Ledoyen furent atteintes dans leur maison par des grenades incendiaires, que leur lancèrent des soldats ; l'une d'elles dut subir l'amputation d'un bras. Leur jeune frère, qui avait essayé de se sauver, fut assailli dans la rue et frappé de sept coups de baïonnette et de nombreux coups de crosse; comme il ne bougeait plus, ses agresseurs le crurent mort, et le laissèrent sur place dans un état pitoyable.

Le dimanche 23 août, des troupes allemandes appartenant aux 22ème, 122ème, 125ème et 156ème régiments d'infanterie, firent leur entrée à Longuyon et prirent aussitôt comme otages dix-huit notables, qui devaient répondre de la sécurité publique, que personne, sauf l'envahisseur, ne songeait d'ailleurs à troubler. Dès le lendemain commençait le pillage. Les coffres-forts étaient défoncés, les magasins saccagés, les caves dévalisées.

A 5 heures, comme on entendait le canon, le commandement faisait mettre le feu à la ville. Alors vont se dérouler des scènes affreuses. Mme X… est violée en présence de ses cinq enfants. Mme Z… subit les derniers outrages pendant qu’on assassine son mari. L'incendie qui se propage va dévorer deux cent treize maisons. Les habitants, terrifiés, se précipitent dans les caves, d'où il leur faudra bientôt sortir pour échapper à l'asphyxie. Des gens affolés, qui cherchent à gagner la campagne, sont abattus au passage par des soldats en furie et des officiers ivres de sang. M. Collignon est tué chez lui. M. Leroy, vieillard de quatre-vingt-quatre ans, qui marchait à l'aide de deux bâtons, est massacré près de sa porte, et les meurtriers piétinent rageusement son cadavre. Mme Marie, dont le fils, conseiller général et maire, a été mobilisé dès le début de la guerre, est mise au mur pour être fusillée; sa fille se jette à son cou, lui fait un rempart de son corps et parvient à la sauver ; mais sa maison est dévastée, et, à proximité, un homme est mortellement atteint d'un coup de fusil. M. Pierre, coiffeur, reçoit la mort devant sa boutique.

A 7 heures, c'est une vision d'enfer. Une grande partie de la ville est en flammes ; la fusillade crépite de toutes parts. Les rues sont encombrées de morts et de mourants. M. Briclot, qui se dévoue pour soigner les blessés, est frappé d'une balle dans l'aine et succombe après de cruelles souffrances. Mme Pellerin, M. Valentin, les deux frères Martinet, le jeune Rheinalter, âgé de seize ans, et, auprès de lui, un enfant de quatorze ans, sont tués. Mme Jullion voit sa fille tomber morte à ses côtés, une épaule brisée et la tempe fracassée. D'autres personnes périssent asphyxiées ou carbonisées. Mme Carquin, qui traverse la voie ferrée sur une passerelle, avec ses trois fils, est arrêtée par un officier et un soldat. Les deux aînés de ses enfants, Marcel, âgé de dix-huit ans, et Paul, garçon de quinze ans, sont empoignés, conduits à vingt mètres de là et assassinés, en même temps qu'un retraité des chemins de fer, M. Bossler.

Mme Chrétien vient de partir avec sa belle-sœur et ses deux fils, l'un de douze ans et l'autre de cinq, pour se rendre à Ville-au-Montois, où elle espère trouver un refuge, quand deux soldats lui barrent le chemin. Elle les implore d'un geste; mais, avant qu'elle ait pu dire un mot, ses deux petits sont massacrés. Elle-même est blessée de cinq coups de feu, et sa belle-sœur reçoit une balle dans la cuisse.

Au hameau de Noërs, dépendance de Longuyon, qui est entièrement brûlé, Mme Siméon, accouchée de la veille, est obligée de s'enfuir de sa maison en flammes, tandis qu'on fusille son mari. M. Dieudonné et M. Toussaint, conseiller municipal, sont abattus en se sauvant. En un seul endroit s'entassent treize cadavres. Le bâtiment des Frères, où logeaient quarante ménages, est incendié, et les Allemands y fusillent deux hommes. M.- Burtin est tué dans les casernes, où il a cherché un abri avec de nombreuses personnes; celles-ci sont brutalement expulsées et, pour se soustraire à la mort, passent de longues heures couchées dans les champs.

Toutes ces horreurs devaient être surpassées par un crime plus monstrueux encore et plus traîtreusement accompli : vingt et un jeunes gens de seize à dix-huit ans avaient été requis d'enterrer leurs concitoyens assassinés. Leur lugubre besogne terminée, ils furent attachés les uns aux autres, alignés contre le mur d'un bâtiment des casernes, et impitoyablement passés par les armes.

Les assassinats se poursuivirent pendant plusieurs journées. Le 24 août, le curé de Viviers, réfugié à Longuyon, y était massacré, ses vêtements fouillés et sa sacoche jetée vide à quelques mètres du corps. Le 27, M. Braux, curé de la ville, et son vicaire, M. l'abbé Persyn, arrêtés à l'hôpital des Sœurs, étaient conduits sous un pont du chemin de fer, au croisement de la voie de raccordement de la ligne de Longwy, et fusillés à cet endroit, la main dans la main.

En raison du départ d'un grand nombre de familles, toutes les victimes de Longuyon n'ont pu être identifiées. Beaucoup ont dû être ensevelies sous les décombres; d'autres ont été enterrées sans avoir été reconnues ; et pourtant la liste des morts qui a été dressée jusqu'à présent à la mairie ne comporte pas moins de soixante noms.

Occupée, elle aussi, le 23 août, par les 121ème, 122ème, 124ème et 125ème régiments d’infanterie, la commune de Fresnois-la-Montagne fut le théâtre d'actes non moins atroces.

Dès leur arrivée, les Allemands, prétendant que le curé avait tiré sur eux, alors qu'en réalité il était mobilisé et absent depuis vingt-six jours, incendièrent le village et décimèrent la population. Quatre-vingt-dix-neuf maisons devinrent la proie des flammes. Dix-sept personnes périrent asphyxiées ; trente-cinq autres furent massacrées avec d'inimaginables raffinements de cruauté.

Au moment où le feu faisait rage, l'instituteur, M. Werlé, était parti pour Tellancourt avec un certain nombre d'habitants, parmi lesquels se trouvaient des enfants et des femmes. Ayant obtenu dans cette localité qu'un officier lui donnât un saufconduit, il tenta de revenir chez lui avec ses compagnons ; mais, à deux cents mètres environ de Fresnois, la petite troupe fit la rencontre de cavaliers, qui l'accueillirent à coups de fusil et l'obligèrent à rebrousser chemin. Au lieudit la Carrière, une nouvelle fusillade éclata : Mmes Meunier, Thomas et Lafond, femme du maire, furent tuées; Mme Gérard, Mme Adam et le jeune Mathy, blessés plus ou moins grièvement.

Les autres poursuivaient leur route, quand survint un officier à cheval qui, s'approchant de M. Werlé, lui déchargea un coup de son revolver dans le dos. En tombant, l'instituteur s'écria : « Ah ! les lâches, les gueux ! », et l'officier l'acheva d'une balle dans l'oreille. Aussitôt après, M. Gérard, qui soutenait sa mère, blessée au côté, était abattu à coups de revolver.

Pendant ce temps, dans le village, l'ennemi s'acharnait à tuer. Le jeune Schweitzer, âgé de dix-sept ans, a le corps traversé d'un coup de baïonnette-scie ; sa mère, en se sauvant, tombe dans une patrouille de uhlans, qui la fouille et lui vole, avec son porte-monnaie, la montre de son mari. MM. Narcisse Meurier, Bragard et Differding sont exécutés devant la fontaine; M. Auguste Meunier, contre le mur de sa maison, et M. Rongveau, auprès d'un talus. M. Anatole Lecoq est terrassé, puis tué d'une balle de revolver.

A 4 heures de l'après-midi, un fort groupe d'habitants est conduit près du cimetière. Là, un officier demande où est le maire : « Me voici ». dit M. Lafond. - « Vous avez tiré sur nous », crie l'Allemand. Le maire a beau protester et affirmer que personne dans la commune n'a tenté le moindre acte d'agression, l'officier commande « en avant ! On fait alors avancer de quelques pas les captifs, on les oblige à se mettre à genoux et on leur ordonne de lever les bras. Tous s'attendaient à mourir ; mais, au dernier moment, grâce est faite aux enfants et aux femmes, tandis que MM. Lafond, Lariette, Perrin, Émile Bray, Jacquet, Dinant, Othelet, Bourguignon et Henri sont exécutés.

Le 23 août également, les Allemands incendièrent Doncourt-les-Beuveille, dont il ne resta que l'église ; encore fut-elle détruite le 10 novembre dernier. Plusieurs blessés français qui se trouvaient dans les maisons ou dans les granges y furent surpris par le feu et ne purent se sauver. Huit furent tués dans leurs habitations, dans les jardins ou dans les rues.

Si j’ai décidé de publier cette partie de rapport, c’est parce qu’un certain nombre de membres de ma famille, mais aussi de celle de mon épouse, ont été massacrés par les Allemands les 10 et 11 août 1914 dans le petit village de Bazailles, proche de Longwy.

Il s’agit de :

  • Mireille Simone FEITE, carbonisée dans la maison de son grand père, incendiée par l’ennemi. Elle avait 2 ans ;
  • son frère, Maurice Emile FEITE, mort dans le même incendie à l’âge de 6 ans ;
  • leur grand père, François Noël FOURAUX, âgé de 54 ans, fusillé ;
  • leur oncle, Charles Eugène FOURAUX, âgé de 19 ans, fusillé ;
  • leurs cousins et parents plus lointains, Victor DAUPHIN, 76 ans, Fernand Emile FRANCOIS, 17 ans, Nicolas FRANCOIS, 58 ans, Amédée LOZET, 61 ans, Pierre SOBREMENT, 57 ans, Désiré VAUTRIN, 18 ans et Marcel Georges Camille VAUTRIN, 15 ans, tous fusillés, sans aucune raison.

 

Quatorze autres personnes ont été tuées ce même jour à Bazailles.

Durant le mois d’août 1914, près de 400 civils, hommes, femmes, enfants, ont été massacrés dans le Pays Haut.

 

Que ces quelques témoignages d’atrocités, peu avouables, à l’encontre de civils innocents, constituent un hommage qui permette à ces martyrs de sortir de l’oubli.

C’est ma contribution à la commémoration du centenaire de la première guerre mondiale.

 

Malgré leur importance, les atrocités allemandes de 1914 n’ont pas beaucoup attiré l’attention des historiens. Une exception toutefois : l’ouvrage de Jeanne VINCLER « Août 1914 en Meurthe et Moselle – dictionnaire des communes sinistrées » éditions du Quotidien – 2014.

 

 

Denis BERNARD

 

 

 



06/11/2018
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