La Lorraine dans le temps

La Lorraine dans le temps

Baptême au château de Bar en 1524

 La naissance du fils d’un souverain, surtout quand c’était l’héritier présomptif du duché, apportait toujours grande liesse à la famille ducale : le baptême du jeune prince était accompagné de fêtes, dont les détails, conservés dans quelques-uns de nos chroniqueurs, nous donnent une idée des splendeurs de la vie du château.

 

On peut lire en Dom Calmet les détails fort intéressants du baptême du bon Duc Antoine. Empruntons à Nicolas Volcyr la description des fêtes, qui se firent au château de Bar, le 10 novembre 1524, à l’occasion de la fête baptismale de Monsieur Nicolas, le fils puîné de Mgr le Duc Antoine, depuis comte de Vaudémont et duc de Mercœur : à la suite de l’historiographe du prince, nous apprendrons à connaître le château, tel qu’il était alors aux jours solennels; nous verrons à quelles fêtes donnait lieu une cérémonie de ce genre dans la famille ducale.

 

Le cortège baptismal et la cérémonie du baptême. — La direction des fêtes baptismales avait été confiée à Messire Olry Wisse, seigneur de Gerbéviller, bailly de Nancy, et a Messire Antoine du Chastelet, seigneur de Sorcy, premier chambellan.

« Et comme grande foule étoit venue pour assister à la cérémonie, les marchalz et fouriers des logis faisoient escarter le peuple, afin que l’ordre ne fut troublé. Puis les escoliers vestuz de surpelis blancs estoient en grand nombre sur les elles [ailes|, depuis la salle d’honneur jusqu’au portail de l’église avec torches allumées ».

« Après, marchoient les menestriers sonnans moult harmonieusement, allant çà et là Monsieur le Grand Maistre d’hostel pour entretenir l’ordre ; puis les deux capitaines des gardes devant les archers le corps vestuz tous d’une parure, sçavoir Nicolas de Richarmesnil et Jean de Stainville moult richement accoustrez. Incontinent après, suivoit Messire Philibert du Chastelet, chambellan et porteur de la maîtresse enseigne de l’hostel du Seigneur Duc, et estoit suivi des gentilz hommes de l’hostel allans deux à deux en grand nombre.

« Ensuite marchoient les maistres d’hostel, testes nues, avec gravité et convenance moult louable et requise à tel acte; et estoient suivis des trompettes résonnans moult mélodieusement. Puis après, douze grans seigneurs, teste nue, tous chambellans et escuiers du dit Seigneur Duc, portans chascun à la main un flambeau de cire vierge. Depuis estoient les poursuyvans et héraults vestuz de cottes d'armes à la manière accoustumée, assavoir : Cléremont, Vaudémont et Nancy, auprès desquels marchoit Messire Girard de Marraucourt, seneschal de Lorraine, tenant ung bâton blanc en sa main, représentatif du sceptre royal et excellente principauté d’Austrasie.

«Puis venoit le-seigneur de Crehange portant l’esguière « d’or et serviette; ensuite le comte de Salm avec deux bassins, l’ung sur l’autre ; le comte Hesse de Linange avec le cierge de cire vierge ; le bastard d’Anjou avoit la salière ; et après, au lieu de très excellente et seroine dame et princesse Madame Marguerite de Flandres, archiduchesse d’Autriche, gouvernante et régente des Païs-Bas, marraine dudict Nicolas, marchoit révéremment le Sieur de Bersel, chambellan de la Majesté Impériale, portant le dict enfant, qu’il avoit receu des mains de la dame d’honneur en la chambre de parement, accompaigné de deux grands maistres, asçavoir ; Messire Antoine, bailly des Vosges, Messire Adam Bayer, seigneur de Chasteau Brehain, allant à dextre et à seneslre du dict seigneur de Bersel pour aider à soustenir l’enfant. »

 

« Mais à coustière [à côté,] alloient les parains en grande dévotion et pompe solennelle ; c’est assavoir, très hault et très puissant prince Monseigneur Claude de Lorraine, comte de Guise et d’Aumalle, gouverneur de Champaigne, lieutenant générai du Roy de France ; et d’autre part, Révérand Père en Dieu Monsieur d’Aulsaire (François de Dicteville, évêque d’Auxerre). « Derrière le dict seigneur de Bersel, suivoient les trois jeunes comtes de Bische, Manderchette et Swambourg, portans la queue du drap d’or, fourré d'armines, qui estoit sur le dict enfant. Et après, suivoient très illustre princesse Madame Anthoinette de Bourbon, comtesse de Guise, et Marie de Lorraine sa fille ; et, tout d’ung tenant, Yolande de Croy dame de Moulin, portant un carreau de drap d'argent, semé à l'entour de grosses perles orientales, sur lequel reposoit le Chresmeau. Après, marchoient les dames de Valry et de Parroye, la baillie de Vitry, Madame de Parsy, Madame de Harraucourt, et la fille du bailly de Saint Mihiel, avec autres dames et damoiselles, en bon nombre ».

 

Sur le passage du cortège et dans la cour se tenaient une multitude de seigneurs et d’ecclésiastiques, présidents et conseillers des Comptes de Lorraine et du Barrois, officiers et gens d’ordonnance, bourgeois, marchands, citoyens de Metz, Toul, Verdun, Pont-à-Mousson, etc.

La collégiale avait été « moult richement parée de reliques, joiaux, aornements, draps d’or et d’argent, tapis faits à l’antique et à nouvelle façon. Sur le portail, on avoit tendu un pale (ou dais) richement brodé de velours cramoisi, au ciel duquel était l'image de Notre-Dame tenant son divin Enfant ; près d’elle, une Sybille monstrant la Vierge Marie a Octave (l'empereur Auguste) comme celle qui debvoit nasquir sans tasche quelconque ni macule du péché originel ; à l'entour, sur une banderole estoit escripte la prophétie, qui l’annonçoit ».

 

Sous ce dais attendaient les dames d’honneur de Stainville et de Maugiron, avec la sage-femme et nourrice, pour recevoir l’enfant, qu’elles découvrirent ; puis il fut porté sur les fonts, où le baptême fut honorablement célébré par Révérend Père Monsieur Balthazar du Chastelet, abbé de Saint-Vincent et Saint-Epvre, au milieu des « chants d’une infinie doulceur et mélodie de tous les chantres des deux Courts et du dit Bar, avec orgues et autres instruments harmonieux ».

 

Le repas de baptême. — Après la cérémonie, les hérauts et poursuivants d’armes parurent dans la cour d’honneur, et ayant sonné trois fois de leurs trompes et busines (trompettes), crièrent : Largesse, largesse, largesse ». C’était une invitation à s’asseoir aux tables que le prince avait fait dresser dans la grande salle des États ; les habitants de Bar et les étrangers attirés par la fête s’empressèrent d’y répondre.

Magnifique fut le festin, car, sans rappeler la viande de boucherie, on distribua vingt-huit poinssons de vin, 500 chapons, 1100 poules, outre la venaison et la volerie; « on y servit cerfz, biches, sangliers, chièvres, veaux, dains, lappins, liepvres, outardes, cignes, buttors, paons, faisans, bitardes, oyes, herrons, cannarts, gelinettes, perdrix, bescasses, griesves, merles, vanneaux, tourterelles, pigeons et ramiers, etc ».

« Le lendemain qui estoit vendredy, unziesme de novembre, après toutes manières de potages delicalz, on servit des poissons en tous genres, péchés dans les étangs et rivières du Barrois ».

« Le vin se donnoit à tonneaux, poinssons, dandelins » ; il y avait le cru de Bar, des vins de Beaulne, de Vertus, d’Ay, des vins français et étrangers, jusqu’au Malvoisie et Romanie, qui nu'estoient épargnés moins que birre en Vuesphalle. »

 

« Puis la noblesse s'esbattoit en faictz, ris, jeux, dicte, chants, orgues, instrumens, dances de haulte, moïens, et bas tons, tant vieilles qu’à la nouvelle façon. En oultre, la fète étoit esjouie par Songe-Creux et ses enfants ; Mal me sert ; Peu d'acquit et rien ne vault, et autres farces vieilles et nouvelles, joieuses a merveille ».

 

Ces banquets, auxquels le peuple prenait part, n'étaient rien en comparaison de ceux que le Duc offrait aux personnes de qualité : chaque repas n’avait pas moins de cinq services, dont la nomenclature des mets rappelle l’opulence des festins célèbres du Duc de Bourgogne : chaque service était apporté en cérémonie au son des tambours, fifres et trompettes.

 

Le palais ducal au jour du baptême. — Pendant ces fêtes, le château ducal était ouvert aux visiteurs, et l’on y admirait toutes les richesses des maisons souveraines.

Pénétrons avec Volcyr, dans la demeure seigneuriale et prenons une idée de ses magnificences des grands jours.

« La salle du parement étoit garnie de tapisseries, en haute lice, rehaussées de damas blanc, sur lequel l’aiguille industrieuse avoit tracé en fils d’or et d’argent la devise de la Duchesse : J’espère avoir. Là se voyoient les buffets et bahuts chargés de haultz potz, couppes, tasses et hanaps d’or et d’argent dont l’éclat éblouissoit les yeux : on y voyoit aussi ung lict grant et spacieux, dont la couverte estoit d’armines avec force carreaux, couverts de drap d’or.

« A senestre, on entroit en une pièce plus basse nommée salle d’honneur, grandement décorée de tapis faictz et ourdis a l’antique, où l'histoire de Jason et Médée était moult clèrement comprinse avec dyctiers déclaratifs (devises explicatives). Au-dessus du manteau de cheminée, se voyoit un dais de velours cramoisy avec les armes de Mgr le Duc et de la Duchesse : entre deux Anges se trouvoit un Phénix, puis une Sybille tenant la croix embrassée, si admirablement peinte, qu’elle sembloit parler la prophétie, dont les termes se lisoienl à l’entour.

« De là, on montoit dans une moïenne salle tapissée moult richement avec des histoires du Livre des Rois ; Mardochée, « Aman, etc., représentées si bien qu’il n’y manquoit que le mouvement et la vie ; là aussi étoit appendu un dais, ou derselet de satin cramoisy, orné de fleurs et de nœuds.

« Tout auprès, la grande salle des États, large, haulte et spacieuse où se trouvaient un grand nombre de convives, et où les princes jouaient à la paulme tout à leur aise : de là l'œil découvrait un splendide horizon ».

 

De la salle du parement, on accédait en diverses pièces tapissées, remplies d'histoires, de beaux «  dictiers moraux » (proverbes) : on arrivait ensuite aux chambres « où les dames et damoiselles avoient accoustumé passer leur temps à broder la « soie par subtilz artifices ».

« De là on entroit dans la chambre de la Duchesse parée de tapis de Turquie si bien faicts, qu'à peine pouvoit-on retirer sa vue, pour regarder en hault et sur costiere » : sur les murs étoient appendues des tapisseries, où le chardon héraldique se mêloit à la palme avec la devise de la Royne de Sicile, des entrelats de ceintures et banderolles. Le charlit (bois de lit) était orné de riches sculptures, décoré d'or fin et paré de tentures brodées, où l’on voyoit les belles devises : J'espère avoir : ung pour jamais, et le Phœnix resplendissant. Tout près se trouvoit le buffet chargé de sa vaisselle d'or et d’argent.

 

« La grande gallerie faisoit suite, et longeoit le jardin du château dessiné à la façon de Provence, avec fontaine d’eau vive, chambrettes de vignes, et préaux de verdure encadrant des massifs de fleurs ».

On le voit, par cette description d'un historien du XVIème siècle, la demeure seigneuriale s'était bien transformée ; selon le goût du temps, elle devenait un palais de plaisance, tout en gardant l’extérieur d'une forteresse féodale.

Fidèle aux usages du temps, la Duchesse faisait ses relevailles solennelles, et laissait à l’église Saint-Maxe une offrande, qui répondait à son rang.

 

Extrait de : Le château de Bar autrefois et aujourd’hui, par l’abbé Gabriel Renard – 1896

Gallica.

 

 

 



28/12/2017
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