La Lorraine dans le temps

La Lorraine dans le temps

Emeute de femmes à Rambervillers en 1771

 

La question des grains fut la grande préoccupation du XVIIIe siècle. Bien avant que le roi Louis XV devînt lui-même un « monopoleur, l’on chercha à remédier du moins à atténuer les désastres causés par de trop fréquentes famines. Dès 1754, on décrète la liberté entière du commerce de grain dans l'intérieur du royaume ; plus tard (1758) on encourage les défrichements, on autorise la formation (1763) de magasins de blé ; enfin, le célèbre édit de 1764 accorde la pleine liberté d'exportation des grains par navires français et l'importation par tous navires à la sortie le blé payait un demi pour cent de droit, et un pour cent à l'entrée. Ces excellentes mesures donnèrent dès le début de bons résultats, mais les mauvaises récoltes des années 1767, 1768, provoquèrent une hausse considérable ; le peuple s'en prit à l'exportation. Des désordres eurent lieu dans toute la France ; les parlements appuyèrent les réclamations populaires, et le 14juillet 1770, l'exportation fut interdite.

Le prix du blé ne diminua pas.

La population affamée s'en prit alors aux monopoleurs. Cette fois elle n'avait pas tous les torts. Tout le monde connaît le triste rôle du roi Louis XV dans ce qu'on a appelé le « pacte de famine », principal intéressé dans la trop célèbre Société Malisset. Le roi permettait tout aux représentants de cette société. Le blé était-il abondant dans une province (Languedoc) ? Vite on en interdisait l'exportation dans les provinces voisines, et le grain acheté à vil prix par les agents de la Société Malisset attendait dans des magasins la hausse qui ne tardait pas à se produire ; ou bien, l'interdiction d'exportation était levée, et le blé, transporté dans une province affamée, était vendu à gros bénéfice.

Le roi suivait avec le plus grand intérêt les variations du prix des grains ; et plus d'une fois, les courtisans eux-mêmes baissèrent les yeux en voyant sur le secrétaire du roi des carnets où étaient inscrits jour par jour les prix du blé dans les divers marchés du royaume

Bien plus, enchanté des énormes bénéfices réalisés, Louis XV ne craignit pas de créer « l'office de Trésorier des grains » au compte de Sa Majesté !

On comprend l'émotion populaire à la divulgation de tels faits ; on s'expliquera la fréquence, la violence des émeutes : à Rambervillers, comme en mille autres endroits, la faim fit insurger la population.

Le 15 juin 1771 était jour de marché à Rambervillers. Comme d'habitude, nombre de cultivateurs, de marchands des localités voisines étaient venus installer leurs voitures chargées de grains dans les rues réservées au marché. La quantité de blé qui, toutes les semaines, arrivait, était suffisante à la consommation de la ville, mais ce blé était acheté par des spéculateurs étrangers, si bien que le prix s'en maintenait toujours très-élevé.

Ce jour-là, le vendeur élevait le prix du resal à 40 livres Depuis longtemps, de sourdes rumeurs couraient dans la population, on criait au monopole, à l'accaparement ; les acheteurs étrangers qui venaient sur le marché pour lever des grains et les conduire dans les lieux de leur demeure. Ils étaient surtout l'objet de la haine de la population. Ce qui, cette fois, mit le comble à la fureur populaire, c'est que le bruit se répandit qu'à Paris, Nancy, Lunéville. etc. le blé se vendait à un prix fort au-dessous de celui qu'on proposait ici.

Au moment où les acheteurs allaient prendre livraison du blé, trois cents femmes, arrivant de divers côtés, suivies et secondées par leurs hommes, envahirent le marché au grain, en chassèrent les acheteurs ; ceux-ci voulurent résister. Mal leur en prit, les maris accoururent au secours de leurs femmes, et les leveurs étrangers, fort maltraités, durent au plus vite prendre la fuite.

Maîtresses de la place, les femmes entourent les vendeurs, s'emparent de leurs blés, et le vendent à raison de 25 livres le resal, sans s'embarrasser du prix de 35 à 40 livres qu'en voulaient avoir les vendeurs.

Plus de 300 reseaux furent vendus ainsi.

Ce cours forcé établi, on voulut obliger les boulangers à proportionner le prix du pain au nouveau cours de la livre. On tenta même de faire main basse chez tous les marchands de blé bourgeois de cette ville et d'en enlever les grains au prix qu'ils jugeront à propos d'y mettre. La municipalité, aidée de quelques hommes de la maréchaussée, essaya de résister ; mais en vain.

Le vendeur toucha le prix réduit de 25 livres. Le début de l'émeute ne visait que l'acheteur étranger à la ville et aux environs. Dès 1768, le parlement de Rouen n'avait pas craint d'accuser le gouvernement de pousser à la hausse et de spéculer sur le blé.

La municipalité n'avait pas d'autre arme à opposer que la voie de remontrance. Pourtant elle parvint à empêcher la saisie du blé des négociants de la ville, et à sauver les boulangers d'une perte assurée en faisant sentir aux mutinés que dans ce désordre les boulangers n'avaient pu s'approvisionner au prix de 25 livres.

La municipalité rédigea sur le champ un procès-verbal des désordres qui venaient d'éclater : « Ces voies de fait, concluaient les édiles, sont contraires au bien public, capables d'éloigner tous marchands de grains des marchés de cette ville et d'en empêcher l'approvisionnement, d'autoriser le peuple en toute autre circonstance à se mutiner et à mépriser toutes les règles, ne paraissent pas aux soussignés de nature à être oubliées, et les laissent dans l'embarras de trouver le moyen d'y remédier et d'en prévenir les suites, pourquoi ils en ont dressé le présent procès-verbal pour servir ce que doit.

La Cour souveraine de Lorraine et de Barrois s'empressa de prévenir le retour de tels désordres et le 8 juin, un détachement de cavalerie commandé par Nicolas Valdajol, vint occuper la ville et sans doute aider à la répression ; pourtant les archives sont muettes à cet égard (1) et nous ne savons si celle-ci fut sévère, comme dans bien d'autres endroits.

 

Dr A. FOURNIER.

Bulletin de la Société philomatique vosgienne 1878

 

(1) Si nos archives ne contiennent pas trace de répression, la tradition a conservé le souvenir de la manière dont furent punies ces femmes. Nos vieillards d'aujourd'hui ont souvent entendu raconter par leur père ou grand-père, que les femmes insurgées furent toutes menées sur la place et là fouettées publiquement.

 



23/04/2018
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