La Lorraine dans le temps

La Lorraine dans le temps

Jean-Baptiste ISABEY - 2ème partie

Les mois passent. La crise muscadine s'apaise. On est à la veille du Consulat. La nation prend un caractère plus grave. Les sauteries s'espacent, des salons se ferment, la bourgeoisie devient économe et réduit ses commandes de miniatures. Pourtant, il .faut vivre. Alors Isabey accepte — oh ! sans le moindre enthousiasme — la place de professeur de dessin que lui offre Mme Campan dans la maison d'éducation de filles qu'elle vient d'ouvrir. Sans enthousiasme, ai-je dit, et pourtant ce fut là - mais comment eût-il pu alors s'en douter — la grande chance de sa vie.

Il y avait, parmi les élèves du pensionnat de Madame Campan, une fillette qui s'appelait Hortense ; et, dans un autre tout proche pensionnat, de garçons celui-là, un certain petit Eugène, frère d'Hortense. Ces deux enfants se nommaient de Beauharnais. Leur mère, veuve d'un général guillotiné par la République, n'avait pas refusé sa main au plus jeune des généraux républicains, Napoléon Bonaparte. Prié par elle de venir donner des leçons particulières de dessin à Hortense et à Eugène, Isabey se rendit, rue Chantereine, chez les Bonaparte. Il admira tout de suite la grâce créole de Joséphine, mais eu quelque peine à s'accoutumer aux gestes brusques, à l’accent corse, au débit précipité et au bizarre prénom du mari.

 

Pourtant il devient vite un familier de la maison. On le consulte à maints propos, car on le sait homme de bon sens, de bonnes manières et de bon goût. Lorsqu’il est question d’acheter le domaine de la Malmaison, l’on prend son avis, et, c’est lui qui, pour la remise en état de la demeure et du parc, conseille de s’adresser à l’architecte Fontaine et au dessinateur-paysagiste Berthaud, ses amis. De cette période date son « Général Bonaparte dans les jardins de la Malmaison », la meilleure effigie connue avant le Consulat. Ensuite il publie deux planches : « départ pour l’armée » et « retour ». Mais c’est en 1797, avec une composition toute pacifique et familiale, qu’il obtint son plus vif succès : « la barque ». Il s’y est représenté, conduisant à la rame le batelet, où sa femme et ses trois enfants, une fille et deux garçonnets, s’abritent sous une tente légère.

 

En 1798-1799, pendant que Bonaparte en Egypte, auréole sa jeune gloire de tous les prestiges de l'Orient, Isabey, familier toujours plus intime de la Malmaison, devient, pour Hortense et Eugène de Beauharnais, le grand camarade amusant dont ils ne peuvent plus se passer.

De retour à Paris, Bonaparte renverse le Directoire et se proclame premier Consul. Qui va-t-il prendre pour témoin, pour historiographe-illustrateur, de ses gestes officiels ? Isabey, naturellement.

Il ne s'agit plus de miniature, mais de vastes planches, destinées au grand publie. Isabey dessine, avec l'aide de Carle Vernet pour les chevaux, « la Revue du Premier Consul » et bientôt la «  Revue du Carrousel ». Il note la visite de Bonaparte aux ateliers des frères Sevenne, à Rouen. Il assiste, à Jouy, à la scène fameuse : Bonaparte détachant de sa poitrine l'insigne de la Légion d'honneur et l'épinglant à celle d'Oberkampf.

 

Et c'est l’Empire ! On prépare le Sacre. Napo­léon veut que la cérémonie ait lieu à Notre-Dame et soit grandiose. Il désire que l'image en soit fixée par un pinceau magistral. Et David s'offre, David, l'ancien et fougueux jacobin, si ardent autrefois à maudire les tyrans.

 

Mais peindre ne suffit pas. Il faut un metteur en scène. C’est Isabey que l’on désigne. Tout de suite il se met à la tâche et fait merveille. Après avoir habillé une foule de poupées, il les dispose en cortège et les fait évoluer sous les yeux ravis de Joséphine et de Napoléon.

 

1805…1806…1807… c'est le temps des fulgurants triomphes militaires. C’est l’apogée du général corse. Et c’est aussi le plus beau temps d’Isabey. Il est le premier artiste décoré de la Légion d'honneur. Il a repris son œuvre de miniaturiste, et il n'est grande dame ou haut personnage de l'Empire qui, pour léguer à la postérité une favorable image de leur personne, n'aient recours à son talent. Il a des élèves, et reçoit d'eux une redevance mensuelle qui n'est pas médiocre. Il a, d'autre part, augmenté ses prix, et n'admet pas qu'on les dispute. Même à Napoléon — une de ses lettres en témoigne — il refuse tout rabais. « C'est six cents francs, dit-il, pas un sol de moins. » Sa vogue est telle qu'il n'a plus à craindre aucun rival. François Dumont, sorti, en Thermidor, des geôles de la Terreur, a réendossé sa robe de chambre ramagée d'or, mais il a quelque peine à retrouver sa clientèle aristocratique, dispersée par l'émigration ou rentrant appauvrie. Augustin poursuit, à sa manière habituelle, c'est-à-dire très discrètement, son noble et scrupuleux travail. Il ne se dérobe pas aux avances du régime et accepte de lui quelques titres honorifiques, mais vit retiré, et le monde des Tuileries ne le connaît guère.

Isabey gagne de l'argent. Il achète, rue des Trois-Frères, aujourd'hui rue Taitbout, au numéro 59, une maison avec jardin. Il est heureux, mais non grisé. Il n'oublie pas sa ville natale. Il va, de temps en temps, y embrasser sa mère. Il n'y retrouve pas son frère. Louis, en effet a quitté la Lorraine pour la Russie. Il fait sa partie de violon dans l'orchestre impérial à Saint- Pétersbourg. Il s'est marié dans cette ville, non à une Russe, mais à une jeune fille née à Toul, Mlle Toffin.

En 1807, Louis rentre en France, et Jean-Baptiste l'accueille chez lui, avec tendresse L'année suivante, Louis meurt subitement, à Paris, dans un magasin. La reine Hortense croit que c'est Jean-Baptiste le décédé. Elle commande des messes pour son cher professeur de dessin. Celui-ci triste, mais flatté la détrompe et la remercie. Au chagrin de Jean-Baptiste s’ajoute une inquiétude.

On dit que Napoléon va répudier Joséphine. Est-ce pour Isabey la fin de sa chance ?

Il le croit. Mais non. Il est, une fois de plus, chargé d'exécuter en miniature le portrait de l'Empereur. C'est le cadeau que réserve Napoléon à sa fiancée, Marie-Louise, la blonde fille de l'empereur d'Autriche. La miniature est envoyée à Vienne. Elle plaît à Marie- Louise.

Isabey, certes, garde pour Joséphine, retirée à la Malmaison, une amitié profonde et vraie. Mais les amitiés d'Isabey ne vont pas jusqu'au sacrifice. Il fait de la nouvelle Impératrice un portrait charmant, trop charmant. Il couronne de roses pâles le frais visage de l'Autrichienne et reçoit d'elle de vifs compliments. Une critique un peu austère aurait droit de les contester, ces compliments. Isabey, voulant trop plaire, enjolive et devient fade. Mais cela même lui vaut un succès auprès des dames de la cour, particulièrement de celles qui ont besoin, en leur portrait, d'un brin de rajeunissement. Plus d'une duchesse d'Empire, plus d'une maréchale, est dans ce cas.

Isabey, d'un pinceau infaillible, enlève à chacune quelques années. Ah ! le galant peintre ! Marie-Louise, qui cependant n'a pas de rides à dissimuler, partage cet engouement pour l'artiste qui a su tremper son pinceau dans la fontaine de jouvence. Éprise d'art, elle demande à son mari de lui donner un maitre de dessin. Napoléon désigne Prud'hon. Mais le grand Prud'hon est un homme grave, un peu triste, presque ennuyeux. Marie-Louise lui préfère bientôt Isabey, qui obtient le titre de professeur de peinture de l'Impératrice, avec cette réserve assez curieuse : il lui est interdit de retoucher les essais de Marie-Louise. Isabey est maintenant de la suite de l'Impératrice. Il l'accompagne dans ses voyages. En 1811, à Prague, où s'est réunie une partie de la famille impériale autrichienne ; à Vienne, où il fera maintes miniatures à l'effigie des archiducs, et notamment de l'archiduc Charles, dont il nous trace en ses Mémoires cette esquisse piquante : C'était, dit-il, un petit homme à l'aspect doux et modeste, qui parlait de ses belles tulipes avec toute l'ardeur d'un bourgeois d'Ams­terdam. » Revenu à Paris, Isabey reçoit une charge nouvelle : il est nommé décorateur de l'Opéra.

Mais voici venus les temps pathétiques : 1812, la Grande Armée se meurt dans les plaines glacées de l'immense Russie.

1813, c'est la bataille désespérée de Leipzig ; c'est la retraite à travers l'Allemagne.

1814, la France est envahie. Paris capitule et l'empereur abdique. Isabey revêt son uniforme de capitaine de la garde nationale et court à Fontainebleau. Il est de ceux qui reçoivent l'émouvant adieu de Napoléon vaincu.

Marie-Louise quitte la France, avec le comte autrichien de Neipperg pour Mentor. « Emmenez-moi », lui demande Isabey, qui se croit perdu.

Elle répond très gentiment mais d'une façon négative. Et voilà notre pauvre miniaturiste tout compromis de Napoléonisme au milieu d’un Paris où triomphe une ferveur légitimiste exaltée.

Que va-t-il faire? Lui faudra-t-il regagner sa ville natale et y vivre, comme son ancien maître Claudot, une pâle existence de célébrité régionale? Non, il a une idée.

Parmi les femmes dont il a paré de feintes grâces la trop évidente maturité, se trouve Mme Grant, maîtresse, devenue épouse de Talleyrand. Par elle, il est introduit auprès du diplomate et lui confie son désarroi.

Votre cas dit Talleyrand, n'a rien de très embarrassant. L’air de Paris n'est plus bon pour vous. Je vous emmène.

-Où donc ?

-En une ville que vous connaissez déjà, à Vienne. Je vais y représenter Sa Majesté au Congrès que Metternich y réunit.

A Vienne, entre deux séances de travail, les diplomates s’amusent. Le congrès danse, Isabey danse aussi. Mais son pinceau ne chôme pas. Dans un logement du Prater, les ambassadeurs et leurs épouses, les princes et les princesses, deux impératrices et un roi, le roi de Prusse, viennent un à un, ou deux à deux, poser devant le peintre. Il y a là, comme par hasard, des rencontres en réalité calculées. Isabey fait mine de ne rien entendre, de ne s'occuper que de son dessin mais il surprend plus d’un secret diplomatique. Enfin il peint le Congrès lui-même.

 

Et tout d’un coup éclate à Vienne une étonnante nouvelle : Napoléon a quitté l'île d'Elbe, il vient de débarquer près de Cannes, il marche vers Paris.

Isabey ne tient plus en place. Il fait en hâte ses malles et va demander à Metternich la permission de partir.

— Dépêchez-vous, lui dit en souriant Metternich.

En outre, il est très aimable. Isabey lui a plu. Il l'estime bon peintre et homme d'esprit. Il le lui dit en un billet d'adieu charmant :

« Je regrette en vous, écrit-il, l'artiste créateur : comme tel, vous êtes citoyen de tous les pays ; mes vœux vous accompagnent. Vous qui, d'une main habile, savez si bien fixer les traits de vos amis, vous saurez également ne pas les oublier. »

Isabey va si vite en sa route vers la France, qu'il atteint Paris, avant que l'Empereur y soit parvenu. Dès l'arrivée de ce dernier, il se fit annoncer aux Tuileries. Il fut aussitôt introduit. L'Empereur, en robe de chambre de piqué blanc, se rasait :

— Eh bien ! Isabey, m'apportez-vous des nouvelles de mon fils ? Je sais que vous avez fait de lui, à Vienne, un beau portrait. Faites-le graver. Vous mettrez, en bas « Roi de Rome, avec les armes de l'Empire.

L'entretien se poursuivit, fort amical. Il fut rompu par l'arrivée du général Drouot, nancéien comme Isabey.

Et les Cent Jours commencent.

Isabey ne reverra plus Napoléon qu’au Champ de Mai.

La guerre se rallume. L'armée française marche, à grandes étapes joyeuses, vers la Belgique. Elle y trouvera son tombeau.

La douleur patriotique d’Isabey après Waterloo, s'aggrave d'une affreuse nouvelle. Il apprend qu'un de ses fils, soldat de vingt-deux ans, est resté sur le champ de bataille.

 

Lafayette, Fouché et la Chambre, obtiennent de Napoléon une seconde, une dernière et définitive abdication. Celui qui, jadis, avait à ses pieds un parterre de rois prosternés, est maintenant prisonnier de l'Angleterre. Il vogue, sur le Bellerophon, vers l'îlot perdu de Sainte- Hélène. Le soleil impérial a sombré. Voici que se lève, hésitante et pâle, l'aube de la Restauration. Une Terreur nouvelle, la blanche, s'installe dans le pays. Elle est moins terrible que la rouge, mais cruelle pourtant. La police fait une descente rue des Trois-Frères. Elle détruit les planches du Sacre, mais respecte celles du Congrès. Elle accuse Isabey d'être l'auteur de certains portraits-charges, ridiculisant les princes de la famille royale. Ces portraits-charges datent des Cent-Jours, Isabey jure qu'ils ne sont pas de sa main. Peut-être ment-il. On le menace d'arrestation. Il prend peur et se réfugie en Angleterre. Wellington, dont il a fait à Vienne le portrait, le protège et le recommande. Mais les clients sont rares, le ciel triste, le brouillard épais, les gens glacés. Au bout de deux ans, le mal du pays est plus fort que la crainte. Isabey se rembarque pour la France... Il y retrouve, ô miracle, toute sa chance. La terreur blanche a pris fin. Le pardon règne. Louis XVIII autorise Isabey à publier les planches du Congrès. Réinstallé rue des Trois- Frères, le peintre ouvre largement sa porte. Et son seuil est souvent franchi. Dumont et Augus­tin, justes favoris d'un régime qui répond à leurs convictions profondes, n'accablent point leur compatriote. On se souvient, à la cour, qu'Isabey a peint sous les yeux de Marie-Antoinette les portraits de deux enfants du comte d'Artois : les ducs de Berry et d'Angoulême. Louis XVIII accueille aimablement le peintre de Napoléon. Il accepte de poser pour lui. Et de ce vieux roi au coeur libéral, Isabey trace une excellente image. Louis XVIII a posé aussi devant Augustin, il l'a nommé chevalier de la Légion d'honneur, et nulle récompense ne fut plus justement attri­buée. Le miniaturiste déodatien, alors âgé de plus de soixante ans, a derrière lui, déjà, une œuvre nombreuse et de qualité rare. Il a peint Mme Récamier, Napoléon, Joséphine, Denon, le duc de Berry, d'inoubliable manière et vécu la Révolution, le Directoire, le Consulat et l'Em­pire sans rien perdre de sa fidélité aux Bourbons. François Dumont, lui, approche de la septan­taine. Sa réputation de miniaturiste est intacte, mais l'âge restreint sa production. Il est déjà un homme du passé... Du moins restera-t-il de lui de précieuses peintures, par exemple : les portraits de Mme de Hussel et de Mme Solente, mère et tante du grand poète Musset.

 

Isabey use largement de sa chance retrouvée. Il donne des soirées, où se rencontrent Charles et Horace Vernet, Gérard, son condisciple de l'atelier de David, Prud'hon, Cicéri, qui va devenir son gendre et d'autres artistes encore. Leur maître à tous, Louis David, n'est pas là. Il vit à Bruxelles, régicide exilé, et son pinceau, autrefois merveilleux de vigueur, s'amollit et s'affadit en des œuvres d'un classicisme tout théorique. David paie ainsi ses outrances de jacobin. Que n'a-t-il été, tout simplement, ce que Dieu l'avait fait : un artiste de génie !

Louis XVIII meurt et le Comte d'Artois, Charles X, lui succède. Charles X n'a rien à refuser au premier peintre de ses enfants. Il lui donne la rosette.

 

En 1829, Mme Isabey meurt. Elle a été une excellente compagne. Isabey la pleure très sincèrement. Mais il n'a pas un tempérament de veuf inconsolable. Six mois après remarie. Sa nouvelle épouse a nom Rosa Maistre : Il est bon père. Il partage ses biens entre lui-même et ses enfants : Alexandrine, devenue Mme Cicéri, Eugène, le seul fils qui reste et une autre fille. Il vend la maison de la rue des Trois-Frères. Il ne sait où se loger. Il a soixante-deux ans. Quelle sera sa vieillesse ? Trouvera-t-il l'argent nécessaire pour une confortable retraite ? Il s'inquiète. Et voici qu'une révolution nouvelle chasse de France Charles X. De quoi demain sera-t-il fait ? Mais la Révolution choisit un roi, un roi-citoyen, Louis-Philippe, et Louis-Philippe est un des plus fervents admirateurs du peintre. Apprenant la gêne où se trouve Isabey, il l'en tire aussitôt. Il le nomme conservateur des Musées royaux, avec appartement à l'Institut. Il devient père d'un enfant, un garçon, qui, hélas, ne vivra pas. Vers la sep­tantaine, Isabey sent que ses doigts commencent à trembler. Il refuse dès lors toute commande. Il ne dessine et ne peint presque plus. Il se contente de regarder dessiner et peindre son fils Eugène, qui déjà se révèle bon peintre de marine.

 

Ayant abandonné ses pinceaux, Isabey a le temps de songer, de revivre en pensée, son extraordinaire passé de familier de Napoléon. Même tremblante, sa main peut tenir une plume. Il écrit donc, en 1843, ses Mémoires. Le style en est clair et rapide. Il s'y donne toujours le beau rôle, non par vantardise, mais par naturel optimisme. Il a des mots piquants, mais n'est jamais cruel pour les grands du monde. Il a vu l'envers du décor, mais n'insiste pas sur ses laideurs. Augustin, lui, aux doigts noués de rhumatisme a depuis longtemps cessé de produire. Il meurt, octogénaire, et du trio lorrain qui dominait la miniature française, seul survit Isabey.

Encore quelques années, et c'est au tour de Louis-Philippe de prendre le chemin de l'exil. Une troisième révolution, celle de 48, déroule, aux yeux d'Isabey, les scènes qui lui rappellent les grandes émeutes de 1789.

Que va-t-il sortir de ces émeutes ? Une République ? Une Convention ? Non pas, il en sort une dictature. Et le dictateur, c'est le fils de la reine Hortense, c’est le neveu de l'Autre, c'est Louis-Napoléon. Et comme l’Autre, de coup d’état en coup d'état, Louis-Napoléon accède à l’Empire.

Las Aigles mortes à Waterloo, ont ressuscité. Isabey n’en croit pas ses yeux . Rêve-t-il ? Non, ce prodige est une réalité. Isabey a la faveur de Napoléon III comme il eut celle de Napoléon Ier.

En 1852, se regardant au miroir, il peut voir rutiler sur sa poitrine la cravate de commandeur de la Légion d’Honneur. Il a trois années encore à la contempler ainsi.

 

Est-il entièrement satisfait, ce vieillard qui eu toujours tant de chance ? Non, il voudrait être de l'Institut et n’y parvient pas. L’Institut ne s'ouvre pas aux miniaturistes. Il faut, pour y pénétrer, avoir fait de la grande peinture.

Isabey ne cache pas son dépit. Avec l’obstination de la sénilité, il se plaint à tous et à tout propos de l'injustice dont il se croit l’objet. Et c’est ainsi qu’un jour il s’attire cette spirituelle et flatteuse réponse de son ami Lemercier : « ne le dites donc pas si haut, vous apprendriez au monde entier que vous n'en êtes pas. »

 

Donc, Isabey ne sera jamais de l'Institut. C'est un regret qu’il emportera dans sa tombe. Celle-ci s'ouvrit pour lui, au Père Lachaise, le 8 avril 1855. Après quatre-vingt-sept ans de vie sous le soleil, Isabey rend à la terre un corps devenu tout frêle, et à Dieu une âme qui fut honnête. Honnête, j'y insiste, mais non pas héroïque. Par une sorte de mimétisme, plus étonnant qu'admirable, il a pris successivement et tout de suite la couleur de tous les régimes. Mais son conformisme n'eut jamais rien de déloyal ni de fourbe, et s'il ne fut fidèle à aucun gouvernement, du moins ne renia-t-il jamais ses amitiés. Des plaisantins, qui se croyaient peut-être des justiciers, ont publié, sous Louis-Philippe, je crois, un « Dictionnaire des Girouettes ». Ils n'ont pas manqué d'y inscrire le nom de Jean-Baptiste Isabey. Girouette, Isabey ? soit, mais girouette aussi, David, son maître ; girouettes, Prud'hon, Gérard, et tant d'autres grands peintres, ardents républicains devenus les dévots de Napoléon ; girouettes encore, Talleyrand, le baron Louis, qui, cependant, tout le monde s'accorde à le dire, n'ont pas trop mal servi la France; girouettes, également, les généraux de l'an II, plus tard maréchaux de l'Empire; girouettes enfin, tous ceux qui, indifférents aux emblèmes ornant le drapeau français, moururent pour lui sur les champs de bataille, de Fleurus à Waterloo. Ne soyons pas trop sévère pour Jean-Baptiste Isabey et faisons nôtre cette interrogation de Camille Mauclair : « Pourquoi, écrit Mauclair, demander à un miniaturiste une constance cornélienne, une inflexibilité de Romain ? »

Absolvons donc Isabey, et saluons la mémoire de ce compatriote, de ce fils d’épicier nancéien, qui sut, en des temps de roideur tragique et de sombre violence, mener une souple, une claire, une gracieuse existence de virtuose du portrait.

 

 

D’après Maurice GARçOT – Le Pays Lorrain - 1956

 



10/12/2017
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