La Lorraine dans le temps

La Lorraine dans le temps

Le système D du Séraphin

La scène se passe devant une caserne.

 

M. et Mme Pouillotte, puis M. le Médecin-major.

 

Mme Pouillotte. — C’est-y bien ici la caserne du Séraphin Pouillotte, Mossieu l’officier ?

 

M. Pouillotte. — Tais-toi, Mâmiche, et laisse-moi parler. Faut toujoù que t'prennes le mors aux dents, toi !... Ben sûr que c’est la caserne du Pont-Cassé, te ne vois pas que c’est écrit dessus, donc ? Et pis ce n’est pas un officier, le jeune homme-là, ce n’est qu’un simple soldat comme not’ Séraphin.

Au planton :) Pouillotte Séraphin, Marie, Joseph, de la cintième compagnie, 2e section, 1re escouade, oui, jeune homme, c’est not’ fiston qui est rentré depuis deux jours à l’infirmerie, qu’y paraît !

 

Mme Pouillotte. — Alors, conduisez-nous voir près de not’ pauv’ petiot qui a une maladie que nous ne connaissons pas.

 

M. Pouillotte. — Comment que vous dites, jeune homme ?... Y là justement M. le médecin-major... Ah ! ben ça tombe bien ! Pardon, M. le Major, de vous dé­ranger dans vos fonctions... Nous sommes les parents d’un petit soldat que vous soi­gnez comme une mère, qu’y nous a écrit.

 

Mme Pouillotte. — Séraphin Pouillotte, de Saizerais, qu'y s’appelle, M. le Médecin.

 

Le major. – Ah ! oui, oui, parfaitement. Je vois : un petit gars court sur pattes, bien râblé. Un rigolo qui a des yeux assez filous.

 

Mme Pouillotte. — C’est tout à fait ça. M. le médecin, comme vous le connaissez bien ! (Est-ce que c’est grave, dites la maladie-là ?) Et est-ce qu’y sera guéri pour venir à la fête dimanche prochain ?

 

Le major. — Mais ce n’est rien, moins que rien. Un peu de constipation avec courbatures, état fébrile léger... Après la bonne purge que je lui ai fait prendre hier, il n’y paraît déjà plus.

 

Mme Pouillotte. — Ah ! tant mieux, mon Dieu ! Y nous avait si tellement effrayés en nous écrivant : « Mes chers parents, on m’a mis à l’hôpital, mais ne vous épouvantez pas, j’ai le filon ». Le filon ? ... Ousqu’il a pu attraper ça, que je me disais ?

 

Le major. — Ah ! vraiment, le filon !... Séraphin Pouillotte a le filon ! Elle est bien bonne !

 

M. Pouillotte. — C’est un trait qui court bien sûr, comme on dit chez nous.

 

 

Mme Pouillotte. — C’est plutôt de l’échauffure, n’est-ce pas ?... Il a toujours été sujet à l’échauffure, mais je ne savais pas que ça s’appelait comme ça. Quand il était petit, il avait la peau si fine, si fine qu’y coupait tout de suite sous les bras et entre les jambes quand y faisait humide. Je lui mettais de la pommade à la cire de nos abeilles, ouais ! et ça le guérissait presque aussitôt. Je vous en ai apporté un petit pot, M. le Médecin, vous lui en mettrez une bonne tartine si l’en a besoin, et vous verrez !

 

M Pouillotte. -— Oye! oye! oye! Heureusement qu’il est dans l’infanterie, si on l’avait mis dans la cavalerie, y n’aurait jamais pu monter à cheval !

 

M. Pouillotte. — Dans quelles transes qu’y nous a mis avec son filon ! Nous n’avons osé le dire à personne. Vous savez ce que c’est quand on est père et mère, et qu’un bon gochenot qui ne vous a jamais quitté vous écrit qu’il est à l’hôpital avec une maladie qu’on ne connaît pas !  Le pauv’ p’tiot que je me disais tout le long du chemin, il a le filon ! ! il a le filon ! ! !

 

Le major. — Mais ne vous en faites donc pas comme ça. C’est un loustic vot’ Séraphin. Tout ce qu’il en a fait, c’était pour couper à la marche de nuit d’avant-hier.

 

Mme Pouillotte. — Oh ! mais y ne coupera pus si vous lui mettez de ma pommade.

 

Le  major. — En tout cas, il ne l'aura pas eu longtemps, le filon. Je vais le sortir illico de l’infirmerie et il en sera quitte pour huit jours de clou, le gaillard.

 

Mme Pouillotte. — Huit jours de clou, le pauv’ petit, si j’avais su que le filon donnait des clous, je lui aurais aussi apporté de l’onguent de la mère Catherine. Y a rien de si bon. Si vous avez jamais un mal blanc, M. le Médecin, vous n’aurez qu’à m’en demander.

 

Le major. — Vot’ Séraphin n’est qu’un tire-au-flan, mes braves gens. Vous pou­vez vous en retourner à Saizerais comme vous êtes venus. Avant d’aller vous retrouver, il tirera d’abord ses huit jours de boîte.

 

Mme Pouillotte. — De quoi ?

 

Le major. — De prison, si vous aimez mieux. Ça le dressera, et ça lui apprendra à ne plus monter le coup à ses chefs et à ses parents. Pour lui, voyez-vous : avoir le filon, c’est n’en pas fiche une secousse, c’est pratiquer le système D, vous comprenez ?

 

Mme Pouillotte. — Oh ! le sapré Séraphin, va. Nous donner une frousse pareille !... C’est égal, ne le punissez pas trop fort tout de même, M. le Médecin.

 

Le major. — Non, soyez sans crainte, à cause de vous, je ne lui mettrai que quatre jours de consigne.

 

M. Pouillotte. — Ah ! le veinard ! Eh ! ben, la fois-ci, y pourra le dire qu’il l’a le filon !... A revoir, Monsieur le Major  !

 

 

Georges CHEPFER

 

 



23/11/2018
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