La Lorraine dans le temps

La Lorraine dans le temps

Un mariage au bon vieux temps à Bruyères dans les Vosges

 

 

Il est un fonds intéressant dans nos Archives de Lorraine, aujourd'hui propriété du Département de la Meurthe-et-Moselle, c'est assurément celui qui provient de l'ancienne Chambre des Comptes du Duché. Dans les 12500 registres et liasses qui le composent, se retrouvent des témoignages et des documents permettant de reconstituer authentiquement la vie journalière de nos aïeux: nobles orgueilleux, bourgeois modestes, ou pauvres laboureurs. Ce ne sont point dans ces anciens comptes de sèches et uniformes mentions, comme on en pourrait relever sur les souches de nos percepteurs. Les règles administratives moins strictes n'avaient pas modelé une âme uniforme aux receveurs d'alors. Menant une existence calme que ne préoccupait point le désir de l'avancement, ils trouvaient le loisir de s'étendre en développements circonstanciés sur les motifs et les incidents cause de leurs perceptions. Ainsi, sans le vouloir, ils nous ont gardé de curieux documents sur les coutumes, le mobilier, le genre de vie, voire la psychologie des vieux Lorrains leurs administrés.

Quelques pièces provenant de ce fonds conservées dans la liasse portant la cote B. 3782 des Archives de Meurthe-et-Moselle, nous apportent de nombreux renseignements sur les fêtes et les usages qui, dans notre pays, accompagnaient les mariages au commencement du XVIIe siècle. Elles relatent en même temps un petit drame bourgeois, avec d'abondants et minutieux détails qui permettent d'en deviner les moindres péripéties et de restituer fidèlement le milieu dans lequel il se déroula. Peut-être trouvera-t-on quelque intérêt à l'exhumation de ces vieux souvenirs, à l'évocation de ces coutumes dont quelques-unes n'ont pas encore entièrement disparu.

Au début du XVIIe siècle, vivaient dans la paisible petite ville forte de Bruyères, l'une des onze prévôtés du bailliage de Vosges et chef-lieu d'un ban important, un couple de braves « hôtelains » Joseph Germain et Jeannon Gérard. En exerçant honnêtement leur industrie et en mettant leurs talents culinaires au service de leurs contemporains, ils avaient su, tout en amassant une belle aisance, s'attirer l'estime de leurs cobourgeois et la précieuse amitié de Messieurs les Officiers de l'ordre judiciaire et administratif résidant à Bruyères.

De leur union était née une fille. Brigitte laquelle ils « prirent peyne et solicitude de nourir et eslever aux bonnes moeurs », sans épargner aucune dépense pour en faire une fille parfaite en tous points. Quand elle fut revenue à Bruyères, ayant demeuré trois ans et demi en pension chez des gens de la ville pour achever son éducation, ses parents songèrent à l'établir. Ils tenaient Brigitte en grande affection « et portés de la naturelle amitié que les père et mère ont à leurs enfants » ils s'informèrent autour d'eux d'un parti «  sortable ». Messieurs les fonctionnaires étaient mariés ou dédaigneux d'une telle fiancée. Les Germain ne pouvaient chercher un mari que dans la bourgeoisie. Entre tous les rares jeunes fils de la bourgade. Claudel Grandferry leur plaisait. Il était d'une ancienne famille du pays ; ses biens fonds d'une valeur de quatre mille francs au moins, se composaient d'une belle maison, de prairies et de terres aux bans de Bruyeres et de Champ-le-Duc, et d'un grand «  meix » qu'ombrageaient des arbres à fruits. Il avait même, ce que ne défendaient point les coutumes de Lorraine, quelques centaines de testons prêtés à beaux intérêts. Enfin « les plus signalés officiers et bourgeois» de la ville, louangeaient fort « les mœurs, gouvernement et déportement» du jeune homme, qui ainsi sembla aux Germain le fiancé idéal cherché par eux. Un haut personnage de Bruyères, qui n'est pas clairement désigné aux documents, s'entremit pour décider Claudel Grandferry au mariage, lequel fut rapidement arrêté et conclu.

Le père Germain, ce faisant, trouvait une double satisfaction, car unissant sa chère Brigitte à un homme riche et considéré, il faisait pièce à son concurrent, l'hôtelier Nicolas Thierry, dont Claudel avait longtemps courtisé la fille. Outre une dot en argent promise, les époux Germain la pourvurent d'un trousseau et de meubles, qui ensemble ne coûtèrent pas moins de trois cent trente quatre francs et six gros, sans compter la chemise que Claudel revêtit le jour de ses noces et que selon un usage encore conservé dans nombre de villages lorrains et en d'autres pays, la fiancée avait offert à son futur mari. Elle n'était point de tissu rude et grossier « mais de la plus fine toile et valait au moins six francs. Voici l'inventaire de ce mobilier qui montre la simplicité de vie des vieux Lorrains :

Un lit complet et entièrement fourni valant au moins 6o francs.

Dix « linceux » (draps de lit et nappes au besoin) à deux francs l'un.

Les habillements de Brigitte soit quatre «cottes» 8o francs. Un (pelisson » (pèlerine) couvert de « camelot à 18 francs. Trois corsets (corsages sans manches) à 30 francs. Une garde robe (jupe) de serge avec les agrafes d'argent doré, à 12 francs. Une autre de toile à 4 francs.

Une demi-douzaine de chemises, usage de femme, à trente gros pièce, 15 francs;

Une demi-douzaine de coiffes, 6 francs. Une demie douzaine de « couvre cols» (aujourd'hui nous dirions cols), 6 francs un coffre de chêne, 12 francs un autre petit coffre, 4 francs.

 

Les braves hôteliers n'avaient point oublié la cuisine. Une demi-douzaine de plats d'étain coûtant 9 francs. Une demi-douzaine « d'escuelles d'estain » coûtant 4 francs ; une pinte d'étain, 2 francs 6 gros. Une chopine, 17 gros, une demi-chopine, 1 franc. Un petit setier, 15 gros. Un gobelet d'étain, 6 gros. Un chandelier d'étain, 2 francs ; un autre de fer, 8 gros. Une salière d'étain, 9 gros. Un pot de chambre d'étain 11 francs 6 gros. Deux chaudrons « d'airain » (de cuivre), 9 francs. Un pot d'airain, 5 francs, un autre de fer, 2 francs 3 gros; Deux poêles de cuivre et une de fer (« valant l'une parmy l'autre ») 8 francs. Une poêle à rôt, 15 francs. Un réchaud de fer, 9 francs. Un bassin de cuivre, 10 francs. Une « camerasse d'airain 8 francs ». Une lampe de fer, 4 francs. Une table de chêne, 4 francs.

Ce mobilier, dont se contenteraient peu de pauvres ménages de nos jours, complété d'un peu de linge, de quelques bancs, « chayères » , tables et écuelles en « bois façon de Vosges » et de menus objets de peu de valeur, était luxueux pour l'époque, si on le compare à ceux dont les inventaires sont demeurés. En cette même région de Bruyères, vers 1610, on ne relève généralement dans ceux-ci que quelques habits, une chemise, un lit et pas toujours, deux ou trois ustensiles de cuisine. L'on ne s'embarrassait point alors d'un luxe inutile et vain. Mais le luxe d'aujourd'hui n'est-il pas le nécessaire de demain ?

 

Les époux Germain ne se contentèrent pas de doter ainsi richement leur fille, ils voulurent épargner au jeune ménage les moindres soucis et désirant les voir entrer dans la vie avec un bon capital, ils firent tous les frais du mariage et cela contrairement aux usages, encore gardés dans presque tous les villages lorrains, où les noces se font au compte du mari et à son domicile.

«  En faveur et contemplation dudit mariage, portés qu'ils estoient à l'advancement du bien dudit Grandferry, voulant 1uy en conserver et en acquérir ils firent à leurs propres frais, le festin de ses fiançailles avec leur dicte fille, or que ce dut estre aux siens ». A ce repas qui coûta plus de « six vingts francs » «  assistèrent les sieurs officiers de justice et bons nombre des principaux bourgeois, leurs parents et bons amys tant d'un costé que de l'autre ».

Vers la fin d'octobre ou dans les premiers jours de novembre, les noces furent célébrées. Malgré l'opinion de quelques superstitieux qui considéraient le voisinage du jour des âmes comme un fâcheux présage, elles furent joyeuses. Les époux Germain tinrent à montrer à leurs invités que la réputation de leur enseigne n'était point usurpée et que les vins de leur cave devaient être estimés à l'égal de ceux de leur concurrent Thierry. Plusieurs centaines de personnes s'assirent devant de longues tables couvertes de blanches nappes sur lesquelles brillait la vaisselle d'étain que le sable de la montagne avait fait luire comme de l'argent. On y vint non seulement de la ville et « des villages circonvoisins mais encore de Saint-Diey, de Rembcrvillers et de Remyremont ».

 

On y remarqua l'honorable Adam Gaulthier, substitut de l'illustre Duménil, Procureur général du Bailliage de Vosge, Jean Pillot, valet de chambre de son Altesse ducale, le prévôt Georges Milot, Nicolas de Ranfaing, de Remiremont, presque tous accompagnés de leurs dignes épouses. Les frères du marié, parés de leurs plus beaux atours, avaient le cou engoncé dans des fraises bien empesées, cadeau de Brigitte, laquelle avait offert également à ses belles-sœurs de jolis cols ayant coûté un franc pièce. La bénédiction nuptiale fut donnée dans la vieille église de Champ- le-Duc, alors paroisse de Bruyères.

 

Pendant quatre jours entiers l'âtre flamba de feux de sapin qui mêlèrent leur odeur subtile et résineuse au parfum évocateur des ragoûts où l'on n'avait point épargné les épices : muscade, girofle, cannelle, gingembre et safran, dont nos aïeux aimaient les violents arômes. Les chapons et les pièces de «  rôts » pleurèrent devant la flamme des larmes de graisse scintillantes, précieusement recueillies dans les lèches frites. Les jambons décrochés des poutrelles où ils s'étaient brunis, bouillirent dans le verjus non loin des saumons que la Moselle proche avait fournis. La gueule des fours engloutit, pour les dorer, maintes quiches et tartes, maints pâtés de venaison, de mouton, de veau à la sauce blanche, de truites et moutoilles de Vologne.

 

Pendant quatre jours les écuries de la ville furent pleines de mules et de chevaux piaffant d'allégresse devant les crèches et les râteliers débordant d'avoine et de foin parfumé, durant que leurs maîtres «  bringuaient de pleins gobelets des meilleurs vins d'Aussay, de Bourgogne, de Lorraine et de Barrois. Les journées se terminaient dans les danses que menaient la bombarde ou le chant des rondes.

 

Certes, on n'avait point regardé à la dépense « tellement que pendant trois jours entiers et la veille desdictes noces, lesdits Germain auroient fourny et traicté six plats complets et supporté les frais, sans que ledict Grandferry y ait contribué d'un seul denier ». Thierry, l'hôtelain, frustré dans ses espérances, dut en pâlir de jalousie dans sa cuisine vide et sans feu. Cela coûta plus de six cents francs, somme énorme pour l'époque. Les convives reconnaissants se montrèrent généreux et dans l'assiette d'étain passée, selon l'usage, à la fin du repas, s'entassèrent, blancs, écus, testons et gros d'argent, voire florins d'or et Carolus, qui comptés et empilés, formèrent une somme de prés de deux cents francs. Ce mariage, si joyeusement inauguré, devait avoir une triste fin. Ne pouvant se résoudre à se séparer de leur chère Brigitte, les Germain avaient convenu avec Grandferry que les jeunes époux demeureraient durant six ans avec eux à «  condition d'estre nourris et entretenus de tous points » et ce « pour leur faciliter les moyens d'apprendre l'estat et conduite du mesnage, jeunes qu'ils estoient et aussi singulièrement sur la bonne espérance et expectation qu'ils avoient audit Grandferry qu'ils en seroient soulagés et secourus sur le retour de leur âge et en recevroient tous les gracieux et favorables traitements qu'il leur promettoit ».

 

Tout alla bien durant la lune de miel, mais au bout de huit à neuf mois, le gendre «  changeant du bon naturel dont il avait toujours précédemment donné espérance » manifesta assez vivement l'horreur que lui inspirait la vie commune avec ses beaux parents. Des raisons d'ordre financier motivèrent d'aigres discussions. Le père Germain arguant des grosses dépenses nécessitées par les ripailles des noces, se disait endetté pour éviter le paiement de la dot promise. Même au lieu de la compter à son gendre, il prétendait lui emprunter de l'argent. Aussi vers la fin de juillet de l'année 1610, Claudel Grandferry, décida sa femme à quitter ses parents et à venir demeurer avec lui dans sa maison sise en la voie qui tirait vers Champ. On peut croire que ce ne fut point sans chagrin et regret que les parents Germain virent celle-ci les abandonner, car ils ne la jugeaient pas encore «  duite, façonnée et assez forte pour supporter la charge et faix du ménage ».

 

En effet, la pauvre Brigitte, choyée et adulée de ses parents, était bien incapable de mener et gouverner une maison. A huit heures du matin elle paressait encore en son lit de plumes, et souvent voisins et fournisseurs furent témoins d'aigres disputes. Le souvenir de celle avec qui jadis « il avait traicté l'amour » hantait le coeur de Grandferry. Il se plaignait de Brigitte à qui voulait l'entendre. En particulier Henry-Gaspard Anthoine recueillit ses doléances, un jour qu'ils accompagnaient au guet Saint-Barthelémy, avec les autres bourgeois de service, l'insigne prévôtal ; s'étant attardés au Chauflour des Rains de Vologne, à cueillir des fraises et des brimbelles, Grandferry se répandit en plaintes amères sur la nonchalance de sa femme, laquelle à son retour il souhaitait trouver « le col tordu par le diable ». Il manifesta en même temps ses regrets de ne pas avoir épousé la fille de Thierry, qui lui paraissait précisément avoir les qualités qui manquaient à sa femme. C'est ainsi que l'homme est lui-même l'artisan de son malheur il ne voit en ce qu'il possède que vices et défauts, tandis que ce qu'il n'a pas se pare, à ses yeux, de vertus et de qualités. Un dénouement fatal était proche. Dans l'après-midi brûlante du samedi 28 août, veille du jour où l'église catholique commémore la décollation de saint Jean-Baptiste, victime de l'impudique Hérodiade, en un jardin solitaire sis au lieu dit « en la voye d'Espinal », Grandferry « proditoirement et contre les lois divines et humaines et mesme contre les lois de la nature et la société conjugale « étrangla de ses « mains paricides » Brigitte sa femme. La pauvrette se défendit avec acharnement, son meurtrier la croyait morte qu'encore elle se souleva pour le griffer au visage. Son crime accompli, Grandferry dépouilla le cadavre des bracelets d'argent ornés de corail, qui encerclaient ses bras, pour faire croire que sa femme avait été assassinée par quelque coureur de routes ; il les alla enterrer sous un chêne vers Mortagne, puis tranquillement partit avec les autres bourgeois faire le guet à Saint-Jean-du-Marché. Ce ne fut que le lendemain sur le tard que Libaire, fille de Toussaint Grandfcrry, servante des parents Germain, découvrit étendu le corps tellement meurtri que la tête ne tenait plus au col que par la peau. A côté crissait une « charpagne dans laquelle Brigitte avait amassé quelques « pasteneires » (carottes).

 

Grandferry sut se composer une attitude digne et chagrinée, comme il convenait ; il assista pieusement à l'enterrement et aux prières funèbres aux côtés des « procréateurs » de sa femme « assommés de deuil et tristesse ». Aussi, au début ne le soupçonna-t-on point d'un crime si atroce. Au bout de quelques jours, néanmoins, divers indices relevés contre lui donnèrent l'éveil à la justice qui s'empara de sa personne et de celle de George Moulin, son frère « trois jours la semaine » (c’est ainsi qu’on parlait de frères utérins dans les Vosges). Emprisonné, le criminel montra une belle sérénité d'âme, il chantait nuit et jour, sachant que les charges relevées contre lui étaient insuffisantes il à faire condamner, et ayant trouvé, au cas où il s'en révélerait de plus graves, le moyen de s'évader avec un autre prisonnier. Le 11 novembre, grâce, sans doute, à la bienveillance de ses amis les officiers de justice, Grandferry vit s'ouvrir devant lui les lourdes portes du château de Bruyères où il avait été enfermé. Rentré en sa maison, il n'eut plus, dès lors, qu'une pensée, fuir la petite ville où il ne sentait plus à sûreté et où il était considéré de façon malveillante par ses voisins et ses anciens amis. Déjà son frère avait fui à Château-Lambert, en Bourgogne. Il annonçait, à ceux qui condescendaient encore à lui parler, qu'il partirait sous peu à Saint-Dié demeurer près de Catherine, sa. sœur, mariée à Crespin Guerre, bourgeois de cette ville capitulaire. Il vendit peu à peu tout ce qu'il possédait, et fit rentrer ses créances. Son pré de la Roie Gusel, avait déjà été aliéné par lui quelques jours après le meurtre, ainsi que le champ des How.

Il céda en bloc presque tout ce qu'il lui restait à Marc Garnier qui devint possesseur de la maison, du meix de la route d'Epinal, d'un autre derrière le château, du pré de la fontaine, à Champ-le-Duc, près du rupt, des champs de la Chenaldière et de Martingoutte. De son beau mobilier, il ne garda que deux lits à peine garnis, un vieux pot de fer et une poêle de cuivre. Ces « vendage et distribution de ses meubles et immeubles. Faites » fort prodigalement et à moitié du juste prix semblèrent louche à tous les habitants de Bruyères. Grandferry qui avait commis l'imprudence de tout confier à son frère Moulin, prit peur, et en mai 1611, il partit pour Saint-Dié.

 

Les langues alors se délièrent et la justice rouvrit son enquête l'antépénultième de ce mois. Quelques jours après, les sergents, munis de commissions en règle, allèrent à Saint-Dié pour arrêter Grandferrv ils ne l'y trouvèrent point. Averti par son oncle et son cousin, il s'était enfui au Faing de Sainte-Marguerite. Dans ce hameau, les sergents ne purent non plus remplir leur mission ; le 4 juin ils parcoururent Beulay, Provencheres ct autrcs villages de l'office de Saint-Dié, sans découvrir le meurtrier. Sans doute il avait traversé les montagnes et était descendu en pays «   d'A1lemaigne » où nous ne savons ce qu'il devint. Il y grossit peut-être une de ces troupes de vagabonds et de criminels, qui, sous la conduite de leurs capitaines « égyptiens », armés et « contrefaisant les soldats », ravageaient alors les campagnes, ct passant d'une juridiction à une autre, échappaient à la justice en dépit de leurs fortaits.

 

Malgré son absence l'instruction ouverte contre Grandferry continua. Le 14 juin prise de corps fut décrêtée contre lui. Comme l'accusé ne se présentait pas, le sergent prévôtal Thierry, le 9 juillet, se rendit solennellement accompagné de témoins au pilori de Bruyères, puis, devant la maison de la. Voie de Champ, y appela le prévenu, l'assignant « à trois briefs jours » à peine de voir prononcer contre lui les peines édictées contre les contumax. Personne ne lui répondit et le sergent cloua sur la porte l'assignation calligraphiée par le clerc-juré Grantdidier. Le 19 juillet et le 5 août, .il trouva de même la maison vide. La procédure fut alors communiquée au procureur général du bailliage des Vosges, qui conclut en ses réquisitions aux peines ordinaires, en y ajoutant vu l'horreur du crime la pendaison en effigie, que le tribunal des Maître échevin et échevins de Nancy n'exigea point dans son avis. Comme encore aujourd'hui les contumax étaient jugés dans des formes particulières. A Bruyères, le prévôt jugeait seul tandis que dans le cas où les prévenus étaient présents, le peuple prononçait la sentence. Le 24 septembre, le prévôt déclara Grandferry « suffisamment contumacé en hayne duquel contumax » il fut «  déclaré banny à perpétuité des pays et terres de l'obéyssance de S. A. », ses biens déclarés acquis et confisqués, « les des pens de justice et interrests de la partie civile sur iceulx prins au préalable. Saulf audict Grandferry de se représenter dedans l'an pour purger son dict contumax si faire se peult », ce dont il n'eut garde.

Il restait à liquider les dépens de justice et les intérêts de la partie civile, c'est-à-dire des parents Germain. En termes pittoresques qu'eussent appréciés Dandin et Bridoison, l'avocat Paris, de Mirecourt~ moyennant quatre francs, expose pour eux les pertes qu'ils avaient subies pécuniairement en raison de ce meurtre.

 

Ils croient être «  recevables, capables et appelés de demander, récupérer et avoir les interrests civils de la perte du dommage et du déshonneur qui a esté apporté flatigieusement en leur propre sang ».

 

Quoique ce dommage ne puisse être réparé en façon quelconque, ils réclament néanmoins « pour leurs interrests civils 1500 francs, estant notoire » à tous que ladicte fille peut bien avoir autant cousté de la nourriture tant en leur maison qu'ailleurs par pension… protestants le dit Germain et sa femme que si ladicte feue leur fille estoit encore vivante ils n'entendroient en estre privés non seulement pour cette somme voire de tous leurs biens. En outre, ils réclament les meubles dont ils avaient gratifié leur fille, et demandent «  qu'il soit assigné de rente annuelle et perpétuelle sur certaines pièces et abouts dudit Grandferry la somme de dix francs à emploïer en un anniversaire qui se chantera par chacun an jour de l'obit de ladicte deflunte, pour sallarier «les prebstres et clercs qui y seront emploïés ».

 

Quoique la vente des immeubles faite à Marc Garnier, eut été déclarée nulle, sans doute pour permettre au prévôt de se rendre acquéreur de quelques belles pièces, ainsi qu'il le fit, l'enchère des biens de Grandferry, produisit peu. Déduction faite de l'indemnité donnée à Garnier frustré dans son espoir de gain.

Elle se monta à 1400 francs environ. en y ajoutant le résultat de la vente des. quelques hardes «  criées à l'encan au jour du marché de Bruyères. A cet actif, que les frais de justice amoindrirent notablement, s'ajourèrent quelques créances que Grandferry n'avait pu faire rentrer à temps.

Les parents Germain après la décision du prévôt, prélevèrent le quart du reliquat auquel fut ajoutée une somme de 50 francs destinée à la fondation de messes. Quant aux meubles, ils ne purent rien obtenir de ce chef, le mari en étant devenu propriétaire définitif comme chef du ménage, et les ayant, selon la coutume « confisqué» à son profit. Le duc et l'insigne église de Saint-Pierre de Remiremont, hauts justiciers de Bruyères eurent à se partager ce qui restait soit 949 fr., 1 gros, 12 deniers.

 

Telle fut l'histoire lamentable de Claudel Grandferry et de Brigitte Germain, dont le dénouement tragique troubla profondément, il y a peine trois cents ans, la vie paisible des habitants de la jolie petite ville de Bruyères.

Charles SADOUL

Extrait de la Revue Le Pays Lorrain – 1905

 

 

 



01/12/2017
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