La Lorraine dans le temps

La Lorraine dans le temps

Une famille messine : ameublement

 

 

Texte publié dans le Jarh-Buch der Gesellschaft für lothringische Geschichte und Atltertumskunde , 1906 - (Annuaire de la société d'histoire et d’archéologie lorraine), écrit par l"abbé J-F. Poirier, curé de Peltre.

 

Les inventaires au fonds des amans et notaires nous permettent de donner une idée générale de l'intérieur d'une maison messine.

 

Entrons. Si nous sommes dans la première moitié du 17° siècle, ne nous attendons pas à nous voir offrir une chaise, sinon dans les meilleures maisons. Un maitre-tonnelier a deux petites chaises de noyer ; nous trouvons chez un bourgeois aisé huit chaises basses, une chaise à bras ; chez un maitre-drapier une demi-douzaine de chaises basses bois de noyer, garnies de serge rouge. L'ordinaire se compose de tabourets, quelquefois garnis, et d'escabeaux.

 Asseyons-nous. Nos regards sont frappés d'abord par le grand coffre messin souvent en bois de chêne, parfois en bois de noyer. Quelquefois chaque chambre de la maison a son coffre. D'ordinaire il est long et bas, de façon à permettre de s'y étendre auprès du fourneau dans le voisinage duquel nous le trouvons ou près de la cheminée. Le fourneau est encaissé dans la muraille et s'allume par la cuisine.

 Voici le lit. Il est de trois sortes, selon l'époque où nous faisons notre visite.

Jusque vers le 18e siècle, il est appelé lit à chapelle. Un ciel de lit est fixé au plafond d'où descendent les rideaux : un grand rideau ou deux séparent la couche de la muraille, un rideau descend à la tête, un autre aux pieds, et par devant deux pentes ou rideaux qui s'entrouvrent et s'écartent à volonté ; un tour de lit entoure le ciel de lit et parfois le recouvre complètement ; il est d'ordinaire de couleur verte comme les rideaux, quelquefois orné de passementeries de fleurettes de diverses couleurs. Les rideaux tombant par devant le lit sont ornés de même. Près du lit, l'eaubénitier, suivant l'expression du temps.

 

 

Dans la première partie du 18° siècle quatre colonnes montant du bois de lit soutiennent le ciel de lit : le lit est appelé lit à colonnes.

Vers la moitié du siècle, ciel de colonnes et rideaux ont disparu : la couche est seule et porte le nom de lit tombeau.

Dans une autre partie de la chambre se trouve l'armoire qui renferme on peut dire l'orgueil de la famille : le linge et les bijoux. L'amour-propre messin tenait à une armoire bien garnie de linge ; outre le linge en usage, chaque inventaire renferme une ou plusieurs pièces de toile de lin, de chanvre et d'étoupes. Les draps de lit ne sont pas nombreux, ni les chemises, excepté dans les grandes maisons. Nappes et serviettes existent partout. Plusieurs fois il est fait mention d'un « linceul à mettre sur les morts » : une fois, en 1638, « d'un drap rouge à baptiser les enfants ».

Dans l'armoire se trouve d'ordinaire une cassette renfermant les joyaux de la maîtresse de maison, quand elle n'est pas dans la petite armoire : quatre volets, dont deux en bas plus grands, deux autres un peu moins dans la partie supérieure et un peu en retrait. Parfois aussi la cassette est serrée dans la commode à trois grands tiroirs garnis de poignées de cuivre. Nous ne flatterons pas la vanité de la maîtresse en pénétrant dans ce petit sanctuaire du luxe : nous emprunterons aux inventaires mêmes la liste des joyaux d'une bonne bourgeoise.

«Deux tables de bracelets de diamants, composées chacune de neuf pièces.

Un Jont de diamant sur lequel il y a cinq pierres.

Une petite vieille bague où il y a un diamant.

Une bague où il y a une émeraude et un petit diamant à chaque ailé.

Une autre bague où il y a une émeraude.

Une autre vieille bague où il y a une émeraude.

Deux petites bagues à l'antique avec chacune un petit rubis.

Une bague où il y a une jacinthe avec trois petits diamants.

Une bague à l'antique où il y a sept petites pierres d'opale.

Deux autres petites bagues où il y a chacune une petite pierre verte.

Un tout petit diamant dans un papier.

Une paire de tables de bracelets où il y a chacune un cristal de couleur verte.

Une petite boîte d'or émaillé de bleu avec un petit cornet d'or.

Une paire de bracelets d'or.

Une autre petite paire de bracelets d'or ».

(Invent. d'Anne Jassoy, veuve de Louis Larcher, Marchand. 1686).

Ce n'est point là un luxe de bijoux sortant de l'ordinaire. Chez une autre femme de bourgeois aisé nous comptons neuf bagues d'or avec pierreries, un chapelet de corail avec deux croix d'argent, trois paires de bracelets d'or et de corail et de petites perles. Mention est faite souvent d'une dent de loup richement enchâssée : c'était un porte- bonheur ou amulette du temps. A côté de l'armoire resplendissent luisants de propreté le rouet, la girouette et le dévidoir ; ces instruments dans les maisons aisées sont embellis de pointes d'osselets et ont leur place ordinaire dans la chambre comme les autres meubles.

 

 

 

Pendant que nous considérons les tableaux bibliques, historiques, mythologiques et les portraits qui ornent la muraille, voici qu'à un coin de la chambre l'horloge, enfermée dans sa grande boîte d'où l'on n'aperçoit que le cadran et plus bas le balancier, sonne l'heure du repas.

Nous déclinons poliment l'invitation gracieuse qui nous est faite, et en faisant nos salutations d'adieu, nous jetons un regard rapide sur la table qui se dresse. La vaisselle est d'étain ou de moitange, c'est- à-dire d'airain et de cuivre. Dans bon nombre d'inventaires, nous ne trouvons trace ni de cuillers ni de fourchettes, au moins pendant un certain temps que nous fixerons approximativement jusque vers le milieu du 17e siècle : nous trouvons en 1647 chez la veuve d'un potier de terre deux cuillers airain et cuivre et une fourchette, chez un bourgeois en 1663 six cuillers. Faut-il conclure que fourchettes et cuillers, dont l'origine remonte à la lin du 14e siècle, furent longtemps inconnues à Metz? Nous serions tentés de croire que chacun portait avec soi ces instruments : nous avons trouvé souvent la mention d'étuis renfermant cuiller, fourchette et couteau. Quoi qu'il en soit, dans la bourgeoisie aisée (et elle était nombreuse à Metz) l'argent ne tarda pas à se mêler à l'airain : l'orfèvrerie était une des grandes branches du commerce messin. Nous trouvons déjà en 1663 chez un bourgeois riche, il est vrai, à côté de trois cuillers de fer, vingt et une cuillers et six fourchettes d'argent. L'inventaire d'un maître-chaussetier au commencement du 18° siècle comporte une aiguière, cinq tasses, sept gobelets et dix-sept cuillers, le tout d'argent. Nous pourrions multiplier les citations.

 

En sortant de la maison nous passons devant la cuisine dont la porte ouverte laisse arriver jusqu'à nous une odeur de choucroute au jambon. Nous félicitons la maîtresse de l'éclat éblouissant de ses casseroles de cuivre rangées par rang de grandeur sur la planche fixée au mur, et pendant qu'elle en établit la généalogie et provenance de famille avec beaucoup de complaisance, nous saisissons le temps d'examiner l'ameublement de la cuisine. Voici la grande cheminée dans laquelle pend à la crémaillère la marmite de fer ou le chaudron de cuivre ; sur l'âtre le gril, à côté le tournebroche avec ou sans poids : dans un coin le canon de fusil servant de soufflet ; derrière, au mur, la taque de fonte avec son sujet biblique ou mythologique. A côté de la cheminée pendent au mur les poêles à frire, la tourtière (qui ne manque guère à aucun inventaire ; nos ancêtres aimaient la tarte), la lèchefrite, la poche et l'écumoire, les buguenottes, grande et petite. Voici dans un coin la maie ou pétrin ; à côté le buffet où l'on sert les provisions.

 

 

 

Notre visite est terminée : nous saluons et nous nous retirons. Nous avons visité une maison bourgeoise. Cherchons à connaître l'intérieur d'une maison de maître.

 

Le château de Peltre ainsi que les villages de Peltre et Crépy, et avec eux cinquante-quatre autres localités du Pays Messin, furent pillés et en partie dévastés en 1712 dans l'incursion du général comte de Gravestein des Pays-Bas, agissant au nom du prince Eugène. Les Intendants des Trois-Evêchés refusaient de payer leur part de contributions de guerre, ainsi qu'il avait été convenu après la bataille d'Undenarde en 1708. L'incursion du général avait pour but de compenser ce refus. Un registre aux manuscrits de la municipalité de Metz contient les réclamations pour indemnités des habitants des villages dévastés. Voici la réclamation de Monsieur François Gourdin, seigneur de Peltre, pour son château : «Le soussigné seigneur de Berthe déclare pour satisfaire à l'ordonnance de Messieurs de l'hôtel de ville que les troupes envoyées commandées par Monsieur de Gravestein, estant arrivées le 16 du présent mois au dit lieu vers huit heures du matin et restées jusqu'au soir. Elles ont pillé mes maisons et ont pris dans l'appartement que je me suis réservé en la Cour Boussière, en la grande chambre basse un lict, fait tout à neuf garni de matelas, couverte de coutty et un duvet. Ils ont ouvert et lâché le vin, pris les layes avec le tour du lict, ses rideaux et garnitures de serge gris perle bordée de ruban bleu. Ils ont pris et enlevé dans la mesme chambre les linges qui estoient dans une armoire qu'ils ont pour cet effet brisé et les autres qu'ils ont trouvé ailleurs et particulièrement douze grands draps de toile de chanvre, dix grandes tayes de lict et de matelas, tout de toile rayée et autres tayes de traversins, une grande nappe et autres linges de table, coiffes, bonnets de nuit, miroir et autres effets ». « En la salle haché et déchiré le lit ou couche de repos et pris les traversins et les rideaux verts ». « En la chambre suivante un grand lict de coutty garni de doubles couvertes, l'une de Catalogne et l'autre de toile de Venise bleue à fond blanc ; les tours et garnitures de serge bleue et dépendances, ensemble les rideaux des fenêtres et croisées serge de même couleur et autres dépendances ». Et dans l'autre chambre voisine et suivante, un grand lit vert avec ses garnitures, couvertes, traversin ; les rideaux de fenêtre aussi de serge verte, miroir et autres effets. A la cuisine ils ont enlevé quatre chaudrons d'airain, réchauds et chaufferettes de cuivre, bassin, aiguière, cuillers et fourchettes, vaisselle et autres ustensiles. Au surplus ils ont consommé ce qu'ils ont trouvé de provisions en lard, beurre, huiles et autres choses : bois et quantité de portes de menuiserie, armoires cabinets et autres, les tringles et verges de fer poli des licts et fenêtres, garnitures de cheminée. Ils ont pris et enlevé cinq fusils. A la cave ils ont ouvert et percé quatre pièces de vin qu'ils ont consommé, lâché et gâté pour la meilleure partie et dont il est resté très peu.".

Cette cave du château de Peltre, nous en connaissons le contenu en 1786 par l'inventaire qui en est fait par le gendre de M. Gourdin ci-dessus, M. Jean Nicolas Ferrand, seigneur de Peltre, prévôt général de la maréchaussée du département de Metz. Il s'y trouve en vins du pays, 176 hottes de vin rouge de 1783 et 160 hottes de 1785, et hottes de vin blanc de 178, plus 300 bouteilles dont l'année n'est point indiquée.

En vins d'entremets : 56 bouteilles de Graves, 277 bouteilles de Champagne, 67 de Bourgogne, 18 de Volney, 180 de Cornas, 5 de St-Perray, 45 de Jurançon, 59 de vin du Rhin et 42 de Bordeaux, évaluées l'une dans l'autre un franc la bouteille.

En vins de dessert : 50 bouteilles de vin du Languedoc, 8 bouteilles de Rota, 23 de Muscat, 98 de Malaga, 14 de Palma, 22 de Pacaret, 79 de Sauternes, 15 de la Roque, 4 de Côtes-Rôties et 20 de Xérès, évaluées l'une dans l'autre de 1 franc 35 à 2 francs.

L'eau-de-vie est représentée par 3 hottes d'eau-de-vie de marcs à 20 francs la hotte.

Un supplément à l'inventaire note 276 bouteilles de Bourgogne, 117 de Bordeaux et 114 de Graves, à 1 franc la bouteille.

Une autre cave nous est connue par le fonds des notaires, celle du médecin Jacques Augustin Ladoucette, place Saint-Jacques. Tous les vins indiqués sont du pays. De 1779, 205 hottes à 30 sols la hotte de vin rouge en bon état, 84 hottes de vin rouge piqué et absinthé. De 1780, 286 hottes de vin blanc à 3 livres 15 sols la hotte ; 402 hottes vin rouge un peu louche à 3 livres la hotte, 36 hottes piqué à 40 sols. De 1781, 120 hottes vin rouge à 3 livres 15 sols, 230 hottes piqué et absinthé à 25 sols la hotte. De 1782, 174 hottes vin rouge un peu louche à 35 sols la hotte et 258 hottes piqué et absinthé ; 65 hottes de vin blanc piqué. De 1783, 152 hottes vin blanc à 3 livres la hotte ; 494 hottes de vin gris à 3 livres 10 sols ; 729 hottes de vin rouge à 3 livres 10 sols. - Ces vins étaient logés dans trois caves.

Terminons notre étude sur l'ameublement par la description du salon de la maison de Jobal en 1772. En voici l'inventaire : un lustre ; cinq doubles glaces dans la boiserie ; une glace de cheminée : deux glaces d'encoignure, deux glaces entre les croisées ; quatre tables de marbre à pieds sculptés sous les glaces ; quatre pans de tapisserie en damas cramoisi ; deux grands fauteuils de damas cramoisi garnis de leurs coussins à soufflet et couverts de leurs housses de toile rouge et blanche ; douze fauteuils de velours d'Utrecht, rayé cramoisi et blanc.

Sur le parquet un grand tapis de pied ; un feu complet, tenailles, pincettes et pelle à feu avec leurs garnitures en cuivre doré.

Sur la cheminée un porte-montre avec son pied de cuivre doré, orné de fleurs de porcelaine et d'un berger aussi en porcelaine ; deux petits pots de fleurs aussi en porcelaine ; deux vases à couvercles en porcelaine garnie de similor.

Deux bras en girandoles à trois branches en cuivre doré ; quatre écrans à coulisse en taffetas rouge et blanc ; trois paires de rideaux de taffetas cramoisi ; deux cordons de sonnette avec leurs glands de soie cramoisie.

 

 

 

 



03/01/2018
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