La Première guerre mondiale en Lorraine : 1er août 1914
La nuit de Nancy. L’Est Républicain
Dans la soirée de vendredi, une extraordinaire animation régnait à Nancy. Les rues Saint-Georges et Saint-Jean étaient occupées par une foule compacte qui s'arrachait les journaux pour avoir les dernières nouvelles, passionnément- commentée. Il est dix heures du soir lorsqu'on placarde aux poteaux du tramway et aux façades des maisons de petites affiches portant l'ordre de réquisition.
A leur lecture, les commentaires vont leur train, sans toutefois causer trop d'alarme, car cela semblait prévu par tout le monde. Déjà les chevaux réquisitionnés sont conduits par la bride dans les casernes. La foule grossit sans cesse. Un escadron du 12e dragons, avec ses chevaux couverts de poussière, passe au Point-Central. Le casque des cavaliers est recouvert de la housse en toile bise. On les acclame par les cris de : « Vive l'armée ! Vive la France ! »
Les facteurs des postes circulent rapidement dans les groupes, sonnant aux portes des maisons. Ils remettent des ordres de convocation pour les hommes de la réserve. Le public s'en inquiète, tout en continuant à commenter les derniers télégrammes parus dans les journaux.
A la gare-, c'est une véritable cohue. Les trains sont bondés de voyageurs qui descendent tous à Nancy. Les colis encombrent la consigne et débordent sur les quais pêle-mêle. Des employés s'empressent pour déménager les archives des divers services qui vont être transportés momentanément à Toul et à Epinai. Ces deux gares seront continuellement en relations avec celle de Nancy, afin d'assurer le départ des commis. Employés des bureaux, chauffeurs, mécaniciens, partent également pour Toul et Epinai, où sera leur dépôt. Les détachements de dragons et d'autres corps de troupe se succèdent Tous sont acclamés vigoureusement. Les militaires répondent gaiement aux saluts qui leur sont adressés.
Déjà l'on voit les hommes de la réserve, qui ont été touchés par l'ordre de convocation, circuler dans les rues. Ils marchent par petits groupes, aisément reconnaissables au gros ballot qu'ils portent sous leur bras. Instinctivement ils se sont groupés autour des sous-officiers qui, à leur libération, sont partis avec leur uniforme, aujourd'hui revêtu à nouveau.
Nous interrogeons des réservistes qui nous répondent qu'ils sont partis de suite, et sans hésitation. Devant notre salle, la foule apprécie de diverses façons la fin tragique de Jaurès.
Toute la nuit, la foule fut très dense dans les rues. C'est à peine si, vers l'aube, elle diminue, tandis que des groupes de réservistes continuent à monter vers la gare. Les hommes, s'ils avaient été un peu émus d'être subitement réveillés en pleine nuit, et s'ils avaient été profondément touchés par les baisers plus tendres que d'habitude des mères, des femmes, et des sœurs, dès qu'ils avaient touché le pavé et respiré un peu fort dans la nuit claire, avaient reconquis leur calme gouailleur. Non seulement ils acceptaient leur sort avec résolution, mais encore ils se réjouissaient d'être debout à une heure inaccoutumée, par un temps admirable, avec les amis rencontrés par hasard. Et puis tout le monde fraternisait, et le tutoiement familier de la caserne fleurissait tout naturellement aux lèvres de ces anciens soldats que l'appel de la patrie rajeunissait jusqu'à les rendre un peu gamins.
On eût dit vraiment un départ pour une partie de campagne qui serait suivie d'une fête.
Cette foi tranquille en la destinée, cette sérénité joyeuse, nous l'avons admirée dans les yeux de tous ceux que nous avons rencontrés sous le ciel plein d'étoiles, et nous avons échangé fraternellement les « Bon voyage ! » et les « Au revoir ! »
La panique à Metz. L’Est Républicain
Des nouvelles de Metz confirment qu'une véritable panique règne dans cette ville. Aussi, un grand nombre d'épiceries avaient fermé leur magasin, ne pouvant résister à l'assaut du public affolé qui entendait faire ses provisions. Certains magasins ont complètement vendu leur stock et il résulte que quelques articles de première nécessité, tels que sucre, sel, farine ont considérablement haussé. A un certain moment, le sel a même fait défaut. Le maire de Metz publie un appel invitant la population au calme. Il exhorte celle-ci à ne pas faire de provisions inutiles, des mesures étant prises pour assurer le ravitaillement de la population civile.
Différentes maisons ayant refusé d'accepter le papier-monnaie, on rappelle que celui-ci à cours forcé et que ceux qui le refusent s'exposent à des pénalités. La banque d'empire annonce également qu'en aucun cas et moment elle ne fermera ses guichets.
A toutes les heures de la journée une foule inquiète et avide de nouvelles parcourt les rues. Le commerce et l'industrie se ressentent vivement de cette intolérable situation.
Il faut dire aussi que les nouvelles tendancieuses affichées à certaines vitrines de journaux ne contribuent pas peu à entretenir cet état de nervosité. C'est ainsi qu'un journal de langue allemande avait annoncé hier en édition spéciale que les communications par voie ferrée avec la France étaient interrompues, que tout le matériel de la compagnie de l'Est était réquisitionné pour le transport des troupes.
Nancy. L’est Républicain
On nous informe de source officielle que la Banque de France à Nancy, délivrera, à partir de demain, samedi, les nouveaux billets de 20 et de 5 francs. Cette mesure mettra heureusement fin aux difficultés des échanges monétaires.
Le stock de farines : plusieurs personnes se sont étonnées de ce que ce matin les livraisons de farines n'avaient pas été faites régulièrement. Nous avons demandé aux Grands Moulins ce qu'il y avait de vrai dans cette information. Voici ce qui nous a été répondu : Les chevaux et camions des Grands Moulins ont été ce matin réquisitionnés comme ceux des autres industries. Nous n'avons donc pu livrer les farines à temps. Nous sommes allés voir M. Laurent, maire de Nancy, qui a mis immédiatement les camions automobiles municipaux à notre disposition. Ce soir et les jours suivants les farines nécessaires seront livrées régulièrement. « Vous pouvez rassurer la population, et affirmer que notre stock de farines suffit largement et pour longtemps à l’alimentation de Nancy. »
A suivre
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