La Lorraine dans le temps

La Lorraine dans le temps

La richesse de Metz (1324)

La Lorraine du moyen âge était un pays surtout agricole. La république messine faisait exception. L’ancienne capitale de l’Austrasie était une ville très prospère. Les citains de Metz s’étaient enrichis dans le négoce. Ils étaient les créanciers de tous les seigneurs voisins et, comme ceux-ci ne payaient pas toujours leurs dettes, les Messins les gageaient et des guerres naissaient. A l’occasion d’une guerre qui mit aux prises la ville de Metz, le roi de Bohême, Jean l’Aveugle, l’archevêque de Trêves, le duc de Lorraine et le duc de Bar, un rimeur messin écrivit un poème où il célébra la richesse et les vertus de la ville de Metz

Qui pourrait dignement décrire cette cité qui est si noble ? Dire comment y coule une double rivière1, et comment à l’entour sont les vignobles ? Non, il n’y a pas jusqu’à Constantinople, quelque part que ce soit, une cité plus riche et plus prospère.

Il y a à Metz des coursiers gris, blancs et noirs et d’au­tres couleurs ; l’air y est doux, sain et bon, on n’y respire aucun miasme ; jamais il ne fut un pays meilleur. Qui veut du bon vin le cherche à Ars ou à Corny, sans aller ailleurs.

 

 

Metz est comme la fontaine qui donne sans cesse eaux à foison. Il se tient trois jours chaque semaine des marchés à Metz, librement ouverts à tous ; là on ne vend nulle drogue pour empoisonner, mais draps d’écarlate ou draps qui sont d’autre façon.

On trouve’ à foison en Vesigneuf 2, drogues, poivre, safran et autres épices, soie, cendal et drap d’or tout neuf ; à Port-Saillis, 3  coupes et calices, vers Saint-Martin 4 fourrures et manteaux fourrés, en Chambière 5, les montigneus 8 et les grands brochets plus grands que par­tout ailleurs.

Ceux à qui ces objets ne plaisent pas n’ont qu’à aller en Foumirue 7 ; ils y trouveront hauberts, gorgières, heaumes, pièces d’armure et lances aiguës, épées bon­nes et émoulues 8, écus, selles, poitrails, culières 9 : la rue est toute pleine d’armes.

En Chambre, et un peu au-dessous de la grande église 10, est un jardin 11. Là se trouvent, dès le lever du jour, suivant la saison, prunes et cerises, pommes, poires de toute espèce, et en automne, de bons raisins ; un tel jardin il n’existe pas jusqu’à Pise.

Faucons, autours, éperviers, et bien d’autres oiseaux de proie se trouvent souvent près de Saint-Livier, en face du portail, là où on prie la Vierge. Vers Saint-Gorgon12 est un vivier tel qu’il n’y a pas jusqu’en Savoie.

Il n’y a chose si rare qui soit nécessaire aux besoins d'un homme qu’on ne puisse trouver en la cité, sans aller ailleurs. Si une chose se trouve supérieure aux au­tres, il y a des gens qui disent habituellement, cela vient de Metz, et c’est la vérité.

Qui veut avoir perdrix, faisans, chapons, oiseaux de rivière, lièvres nouveaux que les paysans prennent — ils sont très habiles pour cela — qu’il s’en aille en cher­cher droit à Port-Saillis, il trouvera là un grand choix et, sur la place, le choix est encore plus riche.

Si quelqu’un apporte des denrées étrangères à Metz, elles sont vite achetées ; s’il ne veut pas d’argent, on les lui échange contre du drap ou d’autres objets, du blé, du vin, de la chair salée. Qu’il aille Place au Change, s’il veut des florins, ou bien des gros tournois, c’est à son choix.

Les marchands des pays étrangers à Metz ne sont pas tourmentés, on ne leur cherche querelle ni guerre, ils sont bien payés de ce qui leur est dû. Leurs créances ne sont jamais différées ; quand ils en vont chercher le paiement, il leur est fait en monnaie de bon aloi.

On doit bien de l’argent aux Messins, mais eux ne doivent rien à ceux du dehors. C’est là leur usage. Or, savez-vous comment ils prêtent ? C’est par des écrits en règle ou sur de bons gages consistant en argent, or fin ou héritages ; autrement, ils ne prêteraient pas ; et tout cela est également sage.

Il y a encore une autre manière, pour les Messins, de prêter sûrement leur argent à un seigneur : c’est qu’il donne hypothèque sur ses biens, lui et sa famille. Et, à défaut du paiement, si le prêteur s’empare du gage, il peut le faire sans intervention de la justice.

Ils se donnent l’air d’être les meilleures gens du monde, ceux qui veulent avoir à Metz argent, or fin, fourrures, petits-gris, chevaux, draperies ou autres biens; mais lorsqu’en retour on veut avoir l’argent, c’est alors qu’on les voit faire mauvaise mine, encore beau quand ils ne renient point leurs dettes.

Si Metz fait des saisies sur ses débiteurs, on ne doit pas l’en blâmer ; si elle punit ses malfaiteurs, chacun doit lui en savoir gré. On devrait par-delà les mers chercher à travers bois et chemins détournés ceux qui ont été clamés en justice comme voleurs.

Que vous dirai-je en un mot ? Metz fait trembler tout le pays. Mais nul n’ose lui causer préjudice ni ten­ter de lui faire du tort ; car aucun homme ne pourrait réunir assez de gens d’armes sous son commandement pour égaler la puissance de ceux de Metz.

 

1 La Moselle et la Seille. —— 2 Quartier de Metz. — 3 Quartier de Metz. — 4 L’église Saint-Martin qui existe encore (édifice des XIIIe-XVIe siècles). — 5 Quar­tier de Metz à gauche de la Moselle. — 6 Sorte de poissons. — 7 Quartier de Metz. — 8 Tranchantes. — 9 La pièce de poitrail, ou picière, et la culière étaient de larges lanières qui entouraient le poitrail et la croupe du cheval et servaient à maintenir la selle dans une position fixe. — 10 La cathédrale. — 11 un marché aux légumes et aux fruits. — 12 Autre église de Metz, aujourd’hui détruite, qui se trouvait près de la cathédrale.

 

 

[Origine : Georg Wolfram, Die Metter Chronih des Jaique Dex, Mets, 1906,  Texte traduit.]

 



07/10/2019
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