La Lorraine dans le temps

La Lorraine dans le temps

Les portes de Nancy - la porte Saint-Georges (1)

La porte Saint-Georges actuelle fut terminée peu de temps après la porte Saint-Nicolas. Il y eut successivement du côté Est de la Ville-Neuve deux portes. La première enceinte de Charles III joignait en ligne droite notre porte Saint-Nicolas au bastion de Vaudémont de la Ville-Vieille. Dans cette enceinte une porte était percée, à l’endroit où notre rue de la Constitution rejoint notre rue Saint-Georges On donna à cette porte le nom de porte des Moulins, parce qu’elle conduisait dans la direction des Grands-Moulins. En l'année 1605, la courtine déjà construite de ce côté fut abattue et avec elle cette porte des Moulins ; les limites de la ville furent reculées vers l’Est, pour qu’on put y englober la place nécessaire pour l’église Primatiale et les maisons des chanoines. Avec les murs, la porte fut portée davantage vers l’Est, à l’endroit où elle se trouve actuellement. Cette porte fut commencée en 1606, peu de temps après le nouveau traité conclu entre le duc Charles III et l'entrepreneur des fortifications, Nicolas Marchai. Les travaux furent poussés assez rapidement ; elle parait avoir été achevée peu de temps après l’avènement du duc Henri II. En tout cas, en septembre 1619, on avait dépensé pour la porte et la courtine qui la reliait d’une part au bastion Saint-Georges, de l’autre au bastion Saint-Jacques, une somme de 7.983 francs 11 deniers, et les experts prétendaient que 7.055 francs suffiraient pour parachever les travaux. Cette porte, comme la précédente, reçut d’abord le nom de porte des Moulins ; mais, peu à peu, on la baptisa du nom donné au bastion voisin : porte Saint-Georges, et ce nom ne doit point surprendre.

 

 

Saint Georges était très populaire en Lorraine ; le duc Raoul lui avait consacré la fameuse collégiale sur la place de la petite Carrière ; beaucoup de corporations de Nancy avaient leur centre en cette collégiale et honoraient ce saint comme leur second patron. Le nom donné à la porte s’imposa encore davantage, quand, au sommet de l’édifice se dressa la statue du vainqueur du dragon.

La façade extérieure de cette porte a de grandes analogies avec celle de la porte Saint-Nicolas. C’est en bas un ordre d’architecture toscan, percé de trois baies. Pendant assez longtemps, ces deux portes latérales ont été bouchées ; on ne les a ouvertes qu’en 1843. Au-dessus de la porte centrale étaient jadis sculptées les armoiries d’Elisée de Haraucourt. L’entablement porte un attique, occupant la même largeur que la baie centrale, et où jadis étaient sculptées, comme à la porte Saint-Nicolas, les armes pleines de Lorraine. Ces armoiries dont on distingue encore l'empreinte sur la pierre, ont été martelées en 1792, et depuis elles n’ont jamais été rétablies ; la Commission des monuments historiques qui s’est autrefois tant soucié de la porte Saint-Georges paraît depuis quelque temps l’avoir complètement négligée.

L’attique est entouré de deux hommes à la figure barbue, et dont le corps se termine par une feuille d’acanthe. Contre lui s’appuient deux sphinx ailés ; puis de chaque côté nous trouvons deux figures allégoriques. L’une à gauche repré­sente un homme à moitié nu qui porte de la gauche une corne d’abondance et qui jadis s’appuyait de la droite sur une lance. L’autre à droite, figure une femme avec de longs vêtements, qui porte de la gauche un caducée et qui jadis, ce semble, soulevait de la droite une épée. On a voulu voir dans ces figures le Commerce, la Science ou la Paix ; mais peut-être l’artiste a-t-il voulu unir dans un même personnage, homme et femme, des symboles pacifiques et bel­liqueux, pour annoncer que Nancy pratiquerait à la fois les arts de la paix et de la guerre. Cet attique est couronné par un fronton circulaire, coupé au centre pour recevoir le piédestal qui porte la statue de saint Georges. Le saint est sur son cheval qui se cabre ; il perce de sa lance le dragon. Le mouvement du cheval est bien saisi, mais la statue présente un grave défaut. Quand on est devant la porte, la tête du cheval cache le cavalier ; pour voir le saint, il faut se reculer à une grande distance. Aux angles du fronton, deux autres piédestaux soutiennent des grenades enflammées.                           .

Autrefois les sculptures de cette façade étaient plus nombreuses. Au-dessus de la porte principale se trouvait un bas-relief composé de quatre personnages ; le dessus des petites portes était orné de coquillages dans la partie cintrée. Puis, contre l’entablement, dans un écu on voyait les armoiries du gouverneur Elisée de Haraucourt. Ajoutons qu’à une petite distance de la porte étaient de chaque côté, au-dessus des remparts, deux petits pavillons carrés. L’un de de ces pavillons, du côté droit, subsiste encore.

Malgré son état de dégradation, cette façade, avec ses belles sculptures a fort grand air. Elle est plus achevée que la façade de la porte Saint-Nicolas qui n’a jamais reçu tous ses ornements. Or, nous connaissons l’auteur de ces sculptures. Les sphinx, les statues qui l’entourent sont l’œuvre d’un petit-neveu du grand Ligier Richier, de Jean Richier. Nous constatons la présence à Nancy de ce maître sculpteur au début du XVIIe siècle. En 1608, il s’occupe des pré­paratifs pour la pompe funèbre du duc Charles III, et, de 1609 à 1615, il travailla à la décoration de la chapelle ducale.

Après avoir sculpté ces figures de la porte, Jean Ligier se chargea aussi d’exé­cuter la statue de saint Georges qui la surmonte. Il traita pour une somme de 1000 francs et à condition qu’on lui paierait le plomb et le fer nécessaire pour unir les diverses parties du groupe. Mais, pour un motif ou un autre, Jean Richier ne put faire l’œuvre ; on en confia l’exécution à Florent Drouin, qui fit marché le 13 février 1608 pour 1200 francs, savoir, 600 francs qu’on fournirait d’avance pour la provision de la pierre qu’il fallait acheter à Savonnières-en- Perthois ; 300 francs qu’on lui donnerait quand la besogne serait à demi faite ; 300 autres enfin à fournir quand elle serait entièrement achevée. Nos sculp­teurs d’autrefois étaient moins exigeants que ceux d’aujourd’hui. Et observons que Florent Drouin était à cette date un artiste célèbre : il avait fait en 1582 la belle Cène de l’église Saint-Èvre, actuellement au Musée lorrain ; il avait sculpté, en 1587, le tombeau du cardinal de Vaudémont, à l’église des Cordeliers, avec les quatre docteurs qui l’entouraient jadis et qui se trouvent main­tenant à la Cathédrale ; il avait orné, en 1598, de charmants bas-reliefs la seconde porte Notre-Dame. En l’honneur de ce sculpteur et de son parent Siméon, le Conseil municipal de Nancy donna, le 13 novembre 1878, le nom des Drouin à une rue voisine de la porte Saint-Georges, l’ancienne voie qui longeait le mur de Léopold et qu’on nommait jusqu’alors rue des Jardins. Et pourtant ce même Conseil municipal allait proposer bientôt la destruction com­plète de la porte Saint-Georges ! 

La façade intérieure, du côté de la ville, se composait autrefois d’une seule ouverture, arrière de deux pilastres accouplés ; en 1843, on y a percé deux petites portes latérales pour les piétons. Au-dessus de la porte, on a construit une salle éclairée de deux belles fenêtres que surmontent des frontons triangulaires, et protégée par un toit très élégant. Jadis, sur un écusson, entre les deux fenêtres, étaient sculptées les armes de Lorraine. On accède à celte salle par un vaste escalier sur la rue Drouin, au sud de l’hôtel de la Petite-Chartreuse. Cette salle a une certaine importance dans l'histoire de Nancy. Quand, le 24 juillet 1739, le roi de Pologne eut cédé à la ville les bâtiments qui dépendaient des trois portes de la Ville-Neuve, on installa ici les classes des écoles chrétiennes ; en 1831, une des premières écoles mutuelles y eut son siège. Le Cercle du travail y a tenu pendant un certain temps ses séances et il y est revenu, après avoir séjourné pendant quelque temps dans la porte intérieure de la Craffe.

Les deux portes Saint-Georges sont reliées par une voûte en briques, de grande envergure. Jadis sous cette voûte se trouvaient toutes sortes de bâti­ments parasites des corps de garde, un logement pour le concierge ; ils ont été enlevés peu à peu. Des trottoirs ont été établis pour les piétons ; et, sous cette forteresse que gardaient jadis les soldats lorrains, retentissaient naguère encore les sifflets du tramway.

(A suivre.)                                                               

 

Chr. Pfister.

 

 

 



20/10/2018
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