La Lorraine dans le temps

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La famille messine : les testaments

 

Pour faire un testament, il faut être âgé de vingt ans accomplis ; ni le mariage, ni l'émancipation, ni le grade honorable ne dispensent de la rigueur de la loi. Le testament est valable, quand il est passé par devant un aman ou notaire et quatre témoins âgés de vingt ans, capables et non légataires ; ou par devant deux amans (1) ou un aman et un notaire et trois témoins. Les gens de la campagne peuvent tester devant les maire et gens de justice du village, ou par devant le maire et un échevin et quatre témoins remplissant les qualités ci-dessus indiquées. Tout testament olographe est valable et prend valeur juridique, après qu'il a été insinué dans l'arche d'un aman ou l'étude d'un notaire. Une législation particulière aux pestiférés ne requiert pour eux que deux témoins seulement ; le curé ou le prêtre qui assiste le malade, et même le médecin, ont qualité pour recevoir leur testament, comme l'indiquent les cas suivants.

Le 27 juillet 1625, Dominique Dilange, atteint de la contagion, fait son testament entre les mains du médecin Rolland, lequel demande aux Treize de la justice de lever le dit testament et de le mettre en arche.

Le 6 mai 1636, Guillaume Salleran, religieux récollet, fait et écrit le testament du pestiféré Girard de Clémy, apothicaire, et l'insinue en l'arche de Saint-Gorgon le 5 août suivant par les mains de la veuve.

Le 5 juillet de la même année, Cosme de Saint-Damien, frère récollet, chargé des pestiférés, fait de même un testament pour lequel il se fait déclarer suffisamment autorisé par les Treize le 28 août suivant.

Voici une méthode assez originale de recevoir le testament d'un malade sans s'exposer à la contagion : le 18 août 1636 le notaire Hamiel se transporte place de Grève avec des témoins pour recevoir le testament du pestiféré Nicolas Michel, carabin, lequel transmet ses dernières volontés par le moyen du religieux franciscain, qui dicte de mot à mot par la fenêtre et assure que le malade est en bon sens et entendement.

Une formule générale, indiquée du reste dans le Manuel des autans et dans le Rituel du diocèse avec quelques légères variantes, servait à l'expression des dernières volontés.

Voici un testament selon la formule : « Le 7 septembre 1638, en l'honneur de la Très Sainte et Indivisée Trinité, du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen. Connue chose soit à tous que par devant moi Georges Hamiel, notaire royal.... Maitre Regnault Junot, dit la Villette, receveur du bureau des pauvres de Metz, considérant et réduisant en sa mémoire qu'il est ordonné et établi par la loi irrévocable de Notre Dieu à tout le genre humain, soit tôt ou tard, de payer le tribut de la mort, ni ayant rien de plus certain, ni de plus incertain que l'heure d'icelle, ainsi voyant ce passage inévitable : a trouvé expédient, pendant qu'il est en bonne disposition de bon sens, avis et entendement, de faire sa devise et ordonnance de dernière volonté. Recommandant, premièrement sa pauvre âme à Dieu son Créateur qu'il a daigné faire et créer à sa similitude et semblance, et racheté par le prix précieux du sang de son cher et bien aimé Fils Notre Seigneur et Rédempteur Jésus-Christ, Invoquant les prières et intercessions de la Bienheureuse Vierge Marie, mère de Dieu, avocate salutaire des pauvres pécheurs, de tous les Saints et Saintes de la cour céleste en paradis, élit la sépulture de son corps en l'église du cimetière de la paroisse Saint Martin...Ordonne premièrement et avant tout que toutes ses dettes soient payées et que tous les torts et dommages dûment prouvés qu'il pourrait avoir faits soient entièrement réparés par son exécuteur testamentaire....» (Suivent les différents legs).  Il ne faudrait donc pas trop vite conclure du prélude d'un testament à la grande piété du testateur ; quelques moribonds cependant se font remarquer par une grande expansion de sentiments religieux et s'écartent de la formule ordinaire. Tout testament renferme quelque legs pieux ou charitable, mais non en biens tenant nature de fonds. Les réformés donnent une somme pour les pauvres de leur église, une autre pour les frais du culte et d'ordinaire un ou plusieurs écus à chacun des ministres. Les catholiques donnent aux hôpitaux, aux ordres mendiants, quelquefois à tous les couvents ou au moins à celui où ils désirent être inhumés, aux diverses confréries de la paroisse : quelquefois au curé de la paroisse, mais pas toujours. Un testament contient une stipulation assez curieuse à ce sujet : Louis Lecomte de Brandingshausen, maître de pension à Metz, dit le 9 décembre 1775 : "Je veux être enterré sans aucune formalité et sacs service : qu'on ne donne au curé et au marguillier que ce qui leur est dû suivant la loi et la coutume de l'Évêché de Metz. Je veux qu'on donne au vicaire qui m'administrera et qui m'enterrera un gros écu pour ses peines, et défends de donner de l'argent pour faire dire des messes ou autres prières, car tout cela est au-dessus de tous les prix."

 Les archives de la famille de Puymaigre au château d'Inglange renferment un testament qu'on nous permettra de citer, quoique le testateur n'appartînt pas au Pays Messin. Philippe von der Eck, voué de Boppard, ordonne, par testament du 24 mai 1593, qu'après ses funérailles, distribution soit faite aux pauvres de six malter de grains en pain et d'un foudre de vin de sa cave "pas le meilleur, pas le plus mauvais" : que chaque année, au jour de la Conversion de Saint-Paul, trente-trois pauvres reçoivent un gulden d'or et que deux cents pains blancs soient distribués à des ménages pauvres.

On ne nous reprochera pas, nous l'espérons, de citer ou d'analyser quelques testaments qui, outre leur caractère de curiosité, jettent une certaine lumière sur la vie intime de la famille, ou souvent par quelques mots nous révèlent des détails que nous ne trouverions ailleurs.

C'est d'abord le testament olographe de Paul du Couët du Viviers, avocat au parlement, du 12 mars 1685. "Comme j'ai toujours d'assez grandes dispositions à la maladie et que l'heure de ma mort peut venir subitement, sans que j'aye peu faire mon testament en meilleure forme ; je déclare par ces Antes que moyennant la grâce de Dieu que j'implore et en laquelle j'espère, je mourrai dans les sentiments de la Religion Réformée dans laquelle je suis né et que j'ai toujours professée, croyant fermement que c'est la seule et unique voie du salut, protestant de faux et de surprise devant le tribunal de Dieu de tout ce que l'on pourrait m'imputer de contraire, le cas échéant. Je laisse le soin de ma sépulture à ceux qui ont eu ou qui auront de l'amitié pour moi dans les lieux où je décéderai. Je souhaiterais bien que Dieu m'eut donné assez d'industrie et d'occasions pour amasser quelques biens temporels afin d'en pouvoir distribuer une partie à l'église particulière de laquelle je suis et à ses pauvres. Mais je me trouve avec déplaisir dans l'impossibilité de le faire, d'autant plus que même je ne puis disposer de rien envers mon enfant. Un de mes plus ardents désirs serait aussi de pouvoir faire un parti avantageux à ma chère femme de qui je ne pourvois assez reconnaitre la vertu, la tendresse et l'amitié que j'ai toujours ressentie très-puissamment même au travers des petits nuages dont les chagrins domestiques ont semblé quelquefois les vouloir troubler.

Je voudrais bien aussi pouvoir laisser une ample succession à mon pauvre fils ; mais l’état de ma fortune ne me permet ni l'un ni l'autre et quoi que ce soient des obligations très légitimes. J'espère de la même vertu de ma chère femme aussi bien que de sa bonté et de celle de son conseil, qu'elle fera céder ses intérêts à celui de ma réputation, et qu'en ne lui ôtant rien du sien, lui laissant au contraire toutes les améliorations que j'ay fait à ses héritages, et retirant tous ses apports, elle voudra bien renoncer au surplus de ses conventions matrimoniales en faveur de mes créanciers; espérant que sa renonciation contribuera à obtenir de ma mère la très-humble prière que je lui veux faire dans la suite. Et j'attends aussi de mon fils, lorsque Dieu et l'âge lui auront donné de la raison, qu'il me plaindra plutôt que de me condamner, quand il apprendra que je n'ay point dissipé par mes débauches le peu que j'eusse peu lui laisser, si quelques mauvaises affaires et les engagements d'honneur qui m'ont enveloppé en de grandes dépenses ne m'en avaient mis à bout. Sur ces espérances je supplie très-humblement ma chère femme de vouloir rendre compte à Messieurs du Consistoire de Metz de la recette et dépense que j'ay fait pour notre Eglise depuis le mois d'avril 1084 suivant les mémoires qu'elle en trouvera, et (le suppléer de ses propres deniers au payement du reliquat s'il n'y en a pas suffisamment d'ailleurs pour les raisons qu'elle en sait. Après quoi, je souhaite qu'elle choisisse entre les livres et les bijoux de mon cabinet et les autres choses qui sont de mon usage quotidien ce qui lui en pourra agréer et qu'elle en mette aussi à part quelques jolies pièces pour mon fils qu'elle aura la bonté de lui garder ; qu'ensuite ma mère et ses sœurs en choisissent aussi ce qui leur plaira ; et que du surplus de mes livres, bijoux, nippes, armes et équipages il soit fait un inventaire sommaire et sans frais pour être vendu à l'amiable le plus avantageusement qu'il se pourra, ensemble la portion que j'ai en la seigneurie de Lorry, dont je souhaite que ma femme ait la préférence pour la pouvoir un jour laisser à son fils. Et que le prix du tout soit employé à l'acquit d'une partie de ce que je dois à mes créanciers. Et comme je sais bien qu'il s'en faudra beaucoup qu'ils n'en soient entièrement satisfaits, je supplie très humblement ma chère mère, en l'amitié de laquelle j'ai raison de me confier, de vouloir bien pour l'acquit de ma conscience et pour l'honneur de ma réputation qui est tout ce que je puis laisser de meilleur et de plus précieux à mon pauvre fils, de vouloir bien faire ses propres dettes des miennes, aussitôt après mon décès, et après l'emploi du prix des effets ci devant mentionnés d'en payer tout le surplus par forme d'avancement d'hoirie sur ce qui pourra appartenir à mon fils dans sa succession. Je sais bien qu'il est triste et fâcheux de lui en retrancher quelque chose et qu'il m'est bien sensible de lui ôter au lieu de lui laisser ; mais ma conscience et mon honneur lui doivent être plus chers aussi bien qu'à moi et aux miens que ces considérations. Je supplie aussi affectueusement mes sœurs de porter ma mère à ce que je souhaite là-dessus, et au surplus je recommande intimement mon cher enfant à leurs soins et à leur charité ; et surtout à la miséricorde et à la bonté toute paternelle de notre Dieu. Quant à ma chère femme je suis très persuadé qu'elle l'aimera tous-jours tendrement et qu'aucun changement de condition non plus que ses faiblesses et ses infirmités ne lui ôteront rien de ses plus chères faveurs. En revanche je conjure aussi tous mes parents de donner à ma femme les mêmes témoignages d'amitié que si j'étais en vie. Au reste je supplie au nom de Dieu ma chère et vertueuse mère, ma bonne, mon aimable et vertueuse femme, mes chères sœurs et tous mes parents et alliés d'oublier volontiers tous les défauts de ma conduite ; de ne pas dédaigner ma mémoire et d'en avoir quelque soin. Enfin je révoque tous les autres testaments etc. Fait à Paris le 12 mars 1685.Couët de Vivier.

Citons ensuite un codicille qui nous déconcerta au premier abord. En voici l'analyse : avril 1594. Codicille de Honoré de Mandon, duc d'Orléans, général de l'armée chrétienne, ambassadeur universel de la chrétienté, reçu citoyen de la ville de Metz le 14 du mois passé. Il donne aux pauvres catholiques de Metz 20000 francs de rente et autant aux réformés de Metz, pour construire un nouvel hôpital qui s'appellera de plancton, et pour lequel il lègue en plus 20000 écus sur les 100000 écus qu'il a en banque en la ville de Rouen ; il sera établi deux directeurs du dit hôpital, un de chaque religion, lesquels rendront leurs comptes aux Treize. - Il assigne 26 000 écus pour les rentes devant servir de gages aux dits Treize pour leurs peines ; le capital demeurera à la ville et sera appelé la Pension du Prince de Mandon qui a sauvé l'Etat de France rapportant la louange à Dieu. IL lègue ensuite à Messeigneurs Royer, vicaire général, et François de Comminges à chacun 10000 écus payables par le Roi de France, son légataire, sur les écus de Rouen ci-dessus. Il donne à chacun des capitaines de Metz, tant des vieilles que des nouvelles garnisons, 500 écus ; à chacun des lieutenants et enseignes 50 écus.  Ce testament ou codicille ajoutait un élément inédit à notre histoire ! Hélas ! il n'avait qu'un défaut, c'était d'être daté du 1er avril ; le notaire avait gobé le poisson.

Le testament (6 octobre 1703) de Jean Nicolas Cognel, curé de Saint-Gengoulph, outre son intérêt particulier, nous soulève un coin du voile de l'histoire du Jansénisme à Metz, pour laquelle les documents sont si rares ; il établit aussi l'existence d'un catéchisme du diocèse dès avant 1703. Il donne :

  • à la fabrique de son église 30 livres ;
  • 50 livres aux pauvres honteux, et 9 livres pour les pauvres qui assisteront à son enterrement ;
  • à la confrérie des curés il donne un louis d'or et à chaque curé un livre de piété ;
  • à Monseigneur l'Évêque son Nouveau Testament en deux tomes dorés et marbrés sur tranches ;
  • à chacun des suivants, Seron, official, Maurin et Canon, chanoines de la cathédrale, Marindt, Caré, Lévy et Grand-Nicolas, vicaires, un livre de piété ;
  • à l'abbaye de Saint-Vincent, une bible en un tome ;
  • à Saint-Sympliorien, les œuvres de Saint-Bernard ;
  • à la maison de la Mission, un livre à la volonté de l'exécuteur testamentaire ;
  • - à l'abbesse de Sainte-Glossinde un tourne-feuille de perles, à chacune des religieuses un livre de piété, et aux trois domestiques de l'abbesse chacun trente sols ;
  • - aux sœurs Carmélites la prière des Pères du désert ; aux religieuses de l'hôpital Saint-Georges, les Essais de morale en neuf tomes avec la Morale sur l'Evangile du Père Quesnel ;
  • A Monsieur le marquis de Saint-Laurent, Les égarements des hommes dans la voie du salut.
  • A chacun des enfants de la paroisse Saint-Gengoulph, un catéchisme du diocèse et un exemplaire des Heures composées par l'abbé Brayer, grand vicaire de l'Evêché, qu'il nomme son exécuteur testamentaire.Le testament de Nicole Sureau, épouse de Charles Damon de Saint Pé, nous fait connaître l'usage de Metz de porter les morts le visage découvert ; elle défend de suivre cet usage pour ses funérailles.
  • Le testament de Claude Picard, curé de Vallières, nous révèle la manière particulière aux prêtres de prêter serment ; ils mettaient la main sur la poitrine.
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  1. Aman : notable choisi par le peuple, chargé de la garde des Archives publiques. Il est appelé aussi secrétaire de la Justice de Metz. 

 

 

Texte publié dans le Jarh-Buch der Gesellschaft für lothringische Geschichte und Atltertumskunde , 1906 - (Annuaire de la société d'histoire et d’archéologie lorraine), écrit par l"abbé J-F. Poirier, curé de Peltre.

 

 

 



09/01/2018
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