La Lorraine dans le temps

La Lorraine dans le temps

Les Etats de Lorraine sous Léopold - 2.15 – le pain, les autres aliments et la taxe

 

Dans la crise alimentaire de 1709, où l’avoine servait à la fabrication du pain, le conseil de ville ne recule pas devant les mesures les plus énergiques pour en atténuer les effets.

Il veille de près à la conservation des grains, comme à la préparation du pain, mais sa vigilance n’empêche pas les abus de se produire. Ainsi des particuliers transportent dans des charrettes, la nuit, à des heures indues, et de maison en maison, des grains qu’ils font ensuite sortir de la ville. Ainsi les soldats du Duc, au lieu de se fournir de pain mélangé de froment et d’avoine, achètent du pain blanc que les boulangers leur vendent de façon illicite. Ainsi les boulangers se procurent, pour en faire du pain, de l’avoine mal conditionnée, appartenant à leurs amis, sous prétexte que toutes les avoines sont taxées indistinctement à 12 francs le resal, quoique, auparavant la meilleure se vendit tout au plus 10 francs, et négligent de la bien préparer, de la sécher, d’en ôter les pailles et de donner à leurs pains un poids de deux ou quatre livres seulement, avec une épaisseur proportionnelle. La déclaration d'indignité, la confiscation, l’amende, la privation de la profession et la prison sont autant de peines auxquelles le conseil a recours pour réprimer tous ces abus.

Il ne ménage pas non plus les mendiants étrangers. Tous les jours il s’en réfugie dans les rues écartées du centre, et chez certains habitants qui feignent de leur donner l’hospitalité. La ville se peuple ainsi de vagabonds et de gens sans aveu des deux sexes, chassés des pays voisins et vivant en concubinage. Ils commettent les actions les plus scandaleuses, dans les rues comme dans les églises, où ils insultent les prêtres jusqu’au pied des autels, et ils abandonnent leurs enfants sur la voie publique. Le conseil, par une ordonnance du 25 avril 1709, leur signifie de sortir de la ville dans deux heures pour tout délai et leur défend d’y remettre les pieds, sous peine du carcan et du fouet. Il défend en même temps aux bourgeois d’en loger aucun désormais, menaçant de leur infliger, pour la première contravention, une amende de cent francs ou une peine corporelle en cas d’insolvabilité, et, pour la seconde, une peine corporelle avec expulsion. Cette ordonnance reçoit la plus grande publicité afin qu’elle soit connue de tous. On l'affiche non-seulement aux marchés, aux carrefours, aux portes et autres lieux accoutumés, mais encore au faubourg St-Dizier, dit des Trois-Maisons, à la Magdeleine et à l’église Notre-Dame de Bonsecours.

La disette devient si grande qu’il est indispensable de conserver tous les grains pour la nourriture de l'homme et d’en prévenir le gaspillage. La pâtisserie est considérée comme chose inutile car consommant beaucoup de froment et la plus belle farine. Les colombiers pouvaient être supprimés sans inconvénient. Une ordonnance du 27 juin 1709, fondée sur ces motifs, défend aux pâtissiers de faire aucune espèce de pâtisserie sous quelque prétexte que ce soit, même pour les baptêmes, leur permettant seulement de fabriquer des biscuits pour les malades, sous peine d’une amende de cinquante francs, de démolition de leurs fours et d’interdiction de leur profession. Quant aux colombiers, l’ordonnance prescrit à leurs propriétaires de les détruire dans la huitaine et de ne plus nourrir de pigeons domestiques.

Si les boulangers, les pâtissiers et les bierriers peuvent fréquenter à l’heure qu’ils jugent convenable les halles et les marchés, les traiteurs, les taverniers, les cabaretiers, les revendeurs, les volaillers n’ont pas plus de liberté. Ces derniers industriels s'avisent de fouler aux pieds les anciennes ordonnances qui les concernent. Ils se rendent à toute heure sur les places publiques et sur les avenues de la ville pour y attendre et faire entrer chez eux les coquetiers, les poissonniers et les autres forains, à qui ils achètent toutes sortes de denrées qu’ils revendent au public à des prix exorbitants. Mais, par son ordonnance du 13 juin 1712, le Conseil de ville leur interdit formellement et impérativement ces achats, et fait défense aux traiteurs, aux cabaretiers et aux taverniers de se présenter sur les places et dans les halles, les jours de marché, avant neuf heures du matin en été et dix heures en hiver ; aux rôtisseurs, aux revendeurs, aux revendeuses, aux pâtissiers et aux volaillers de se trouver aux mêmes lieux pour vendre ou pour acheter, avant dix heures en été et onze heures en hiver ; aux bouchers d’acheter, avant les mêmes heures, aucun agneau ni aucun cabri, et à toute personne d’aller à la rencontre des marchands forains. Les denrées ne peuvent être vendues à domicile qu’après avoir été exposées en vente pendant trois heures sur les places publiques. Les contraventions sont réprimées par l’amende et le carcan.

La vente du poisson est également surveillée très activement par la police. Les poissonniers domiciliés sont tenus d’avoir des balances suspendues et « une planchette soutenue d’une latte sur laquelle figure un imprimé de la taxe, » les poissonniers forains font peser leur poisson, à la balance publique, à laquelle est préposé un sergent de ville « qui doit se trouver sur la place, sous les peines de droit, tous les jours maigres et pendant tout le carême. » Comme il arrive assez souvent que les poissonniers apportent peu ou point de poisson au marché et qu’ils le conservent dans leurs réservoirs pour le vendre en cachette et éluder les ordonnances de police, les sergents de ville ont ordre de visiter ces réservoirs, de constater l’existence du poisson qu’ils renferment et de poursuivre les poissonniers devant M. le lieutenant de police.

Il ne faut pas croire que les diverses taxes adoptées par l’hôtel de ville obtenaient l’approbation générale. Elles mécontentaient au contraire les vendeurs et les acheteurs. Les premiers prétendaient qu’elles étaient trop basses et les derniers qu’elles étaient trop élevées ; d’une manière comme de l’autre, elles nuisaient à leurs intérêts.

L’expérience a fini par démontrer que le système de la taxe entravait plutôt qu’il ne servait les transactions commerciales, et qu’il était utile même dans les moments de crise de laisser la plus grande liberté au commerce, si on voulait qu’il pourvût dans les limites du possible aux besoins de la consommation. Aussi en 1789 ce système s’est-il écroulé avec toutes les institutions féodales ; seul, le droit conféré aux autorités municipales de taxer la viande et le pain avait été provisoirement maintenu, mais il a succombé à son tour dans ces derniers temps.

 

A suivre.

 



06/10/2020
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